Le référendum appartient au passé. Les choses ne se sont pas bien passées. Enfin, ça dépend du point de vue. Pratiquement huit Luxembourgeois sur dix s’opposent donc à l’ouverture du droit de vote actif aux résidents non-luxembourgeois, serait-ce sous certaines conditions. Dont acte.
Si les nonistes ont pu s’imposer facilement et si massivement, c’est que les deux camps n’ont pas lutté à armes égales. D’un côté, la droite – le CSV, en particulier, et l’ADR –, sans oublier le superpuissant syndicat des fonctionnaires que l’on ne soupçonne guère à gauche. De l’autre côté, les autres, autrement dit, connaissant la réalité du terrain luxembourgeois, pas grand monde. Force est de constater au passage que ce n’est pas un collectif d’entrepreneurs ou d’artistes, aussi réputés ou sympathiques qu’ils soient, qui fera changer d’avis un peuple «épris de sécurité».
Aïe! Aïe! Aïe!
Ça fait mal aux oreilles d’entendre le président de l’ADR affirmer que ces résultats dépassent toutes ses espérances et ça fait mal à l’estomac de lire que le gentil animateur de l’initiative Nee2015.lu et ses acolytes se sont attendus à ce résultat.
Mais ne soyons pas mauvais perdants. L’appât doit plaire au poisson, pas au pêcheur. Décidément, cette fois-ci, les questions n’ont pas plu. Grosse déception, désillusion, dégoût, choc : dimanche soir, nombreux étaient celles et ceux auxquels manquaient les mots pour dire ce qu’ils ressentaient.
Pour une fois, les vagues de surface ont montré les profondeurs de la mer. Pour se faire une idée de ce que pensent certains Luxembourgeois – je dis bien certains –, il n’y a rien de mieux que de faire le tour d’un supermarché à la mode, le samedi, vers midi.
Le droit de vote? Quoi encore?
Une fois la Mercedes garée et le Bild acheté, les langues se déchaînent : «Non mais ces étrangers, vous vous rendez compte? Maintenant ils revendiquent le droit de vote. Ça ne va pas la tête? Jamais de ma vie. Qu’ils viennent pour bosser, d’accord. Mais qu’ils restent calmes, sinon qu’ils rentrent chez eux. Ils peuvent être contents qu’on les laisse travailler au pays. Qu’ils s’occupent de ce qui les regarde. Ils n’ont rien à voir dans et avec la politique luxembourgeoise. Pour moi, ce sera dix fois non. Que dis-je, cent fois.»
Combien de fois ai-je entendu ce genre de propos ces dernières semaines. Première réaction : la colère monte. Deuxième réaction : le calme revient. Troisième réaction : la tristesse s’installe.
Comment avons-nous pu en arriver là?
Une cohabitation pas toujours heureuse
Les Luxembourgeois et les étrangers – contrairement à ce que l’on lit dans les brochures sur papier glacé cherchant à attirer les «Ultra High Net Worth Individuals», autrement dit les ultra-riches, qui se soucient bien peu de ce qui se passe dans les bas-fonds luxembourgeois – c’est un mariage de raison plutôt que d’amour. Souhaitons-nous vivre et décider ensemble ou alors travailler chacun pour soi, dans son coin, voilà la question et voilà ce qu’a été le véritable enjeu de ce référendum.
Accuser le gouvernement d’avoir mis le feu à la maison, c’est un peu facile, alors que certains avaient commencé bien avant à stocker des produits facilement inflammables et que d’autres ont pris plaisir à souffler sur les braises.
Que penser de certaines réactions prises sur le vif? Réclamer la démission du Premier ministre, voire du gouvernement entier, alors que le cours des choses a emprunté la direction souhaitée! Si le ridicule tuait, certains seraient morts depuis longue date.
Que souhaitent les chrétiens-sociaux?
Le retour au pouvoir. Plus vite ce sera, mieux ce sera. Être assis au premier rang. «Votre heure (re)viendra», a-t-on envie de leur dire. Calmez-vous, patientez, laissez le temps au temps comme disait François Mitterrand.
Ne donnez pas l’impression que la seule chose qui vous intéresse vraiment, c’est le pouvoir universel ou absolu, le retour aux pantoufles ministérielles et au pantouflage. De grâce, n’en rajoutez pas, évitez l’excitation et la dramatisation politiques. Le Grand-Duché et sa population méritent mieux.
Réaction normale d’un peuple normal
Les Luxembourgeois sont majoritairement un peuple normal. Ils ne sont pas plus européens que d’autres, pourquoi seraient-ils moins xénophobes que d’autres?
Ils sont normaux et ils veulent le rester. «Mir wölle bleiwe wat mir sin» – le Luxemburger Wort a bien fait de nous le rappeler dans son édition du lundi (p. 15). Mais qui sommes-nous? Un peuple qui a ses idées, ses visions et ses absences de visions.
Nous ne sommes pas les élèves modèles de l’Europe, nous ne l’avons jamais été. Nous cherchons le profit, comme tout le monde; nous défendons nos acquis, comme tout le monde. Il est plus facile de devenir le numéro 1 de l’industrie des fonds d’investissement que le champion de la politique d’intégration. C’est la réalité et c’est dommage.
Claude Gengler