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André Roeltgen : « On a besoin d’un nouveau modèle social »


"50% des salariés du pays ne sont pas couverts par une convention collective de travail. C'est inacceptable et la politique doit agir", insiste André Roeltgen. (photo Isabella Finzi)

En amont de la fête du Travail, le président de l’OGBL, André Roeltgen, plaide pour une adaptation du modèle tripartite afin d’affronter au mieux les défis liés à la transition digitale et écologique.

Le début de l’année a été marqué par les élections sociales. Les chiffres bruts confirment l’OGBL comme premier syndicat du pays. Par contre, trois sièges ont été perdus à la CSL. Dans quel état d’esprit abordez-vous donc ce 1er mai ?

La forte position de l’OGBL a été confirmée. Avec 35sièges, on a réussi à défendre notre majorité absolue à la CSL. De plus, on a réussi à décrocher le nombre record de près de 2000 délégués dans les entreprises. Ces deux résultats confortent notre poids en vue des discussions qui s’annoncent.

Lors de la campagne, le salaire social minimum mais aussi les conventions collectives ont été thématisés. Comment comptez-vous agir dans les mois à venir pour obtenir des améliorations dans ces deux dossiers ?

Le constat reste que 50% des salariés du pays ne sont pas couverts par une convention collective de travail (CCT). C’est inacceptable et la politique doit agir. La législation actuelle n’est plus adaptée à l’évolution économique du pays. On salue toutefois le fait que l’accord de coalition prévoit une promotion des CCT.

La Chambre a voté en début d’année une augmentation du salaire social minimum. Cette hausse est-elle suffisante pour lutter efficacement contre l’accroissement des inégalités sociales ?

L’évolution des salaires reste bien inférieure à l’augmentation de la productivité. Une offensive salariale est nécessaire. Même la Commission européenne plaide entretemps pour revaloriser les salaires. Dans ce contexte, l’OGBL maintient sa revendication d’une augmentation de 10% du salaire social minimum (SSM). Un premier pas a bien été fait par le gouvernement, mais la hausse décidée ne représente qu’une augmentation brute de 0,9%. Sans la pression exercée, depuis 2015, par l’OGBL, aucune hausse n’aurait eu lieu. Mais cela ne change rien au fait que la richesse créée doit être répartie d’une manière plus équitable. Pour l’instant, le SSM, même revu à la hausse, ne permet toujours pas de mener une vie décente.

À l’issue de votre dernier comité national, vous aviez annoncé que, passé les élections, vous pourriez enfin relancer votre travail politique. Existe-t-il un dossier prioritaire à aborder avec le gouvernement ?

Il n’existe pas de priorité absolue mais plutôt une multitude de dossiers très variés. Le droit du travail en fait partie. Des discussions et, donc, négociations devront être menées sur tout ce qui a trait à la transition non seulement digitale, mais aussi écologique. Cela implique bien entendu une évolution rapide des nouvelles technologies.

Le résultat sera une nouvelle bulle de mesures qui nécessitera la mise en place d’un nouveau modèle social luxembourgeois. Patronat, syndicats et gouvernement doivent entamer une discussion structurée, notamment pour garantir une sécurité de l’emploi et offrir de nouvelles perspectives aux salariés. Des métiers vont disparaître, d’autres vont être fortement transformés. Une priorité sociétale absolue doit être que chaque salarié puisse bénéficier d’une sécurité sur les plans professionnel, social et privé. L’objectif sera de mener une transition équitable, sans créer de nouvelles inégalités.

Plus concrètement, quelles sont les mesures à prendre pour rendre cette transformation équitable ?

Une réforme de la formation professionnelle et de la formation professionnelle continue est nécessaire. Elle doit se baser sur le modèle tripartite. L’État ne peut pas à lui seul prendre en charge le financement de la formation. Il faudra aussi revoir le maintien dans l’emploi. Un renforcement du rôle des syndicats doit être combiné à une meilleure prospection au niveau des entreprises. Des audits sociaux sur le besoin en main-d’œuvre doivent être menés pour éviter des plans sociaux.

J’appelle d’ailleurs les employeurs à tout faire pour que nous parvenions à des résultats concrets dans le cadre de ce nouveau modèle social. Cela est à la fois important pour l’économie et pour la sécurité des salariés.

La précarité est un autre sujet qui est régulièrement thématisé. Quelle est votre analyse de la situation actuelle ?

Il y a un besoin de légiférer au niveau de la fausse indépendance, des contrats à durée déterminée, de l’emploi intérimaire et d’autres formes de contrats précaires. La jeune génération vit de plus en plus dans un environnement de précarité. Cela hypothèque les perspectives professionnelles et sociales des jeunes. C’est absolument inacceptable. Il ne suffit pas de considérer le nombre d’emplois, mais il faut aussi faire une analyse de leur qualité.

La précarité a aussi un impact sur la pension des jeunes. La réforme de 2012 fait que les jeunes d’aujourd’hui vont bénéficier de retraites inférieures de 15% à celles versées aujourd’hui. Avec un emploi et un salaire précaires, cette perte en valeur pourrait même encore s’accentuer. Notre mission en tant que syndicat est de penser aussi à l’avenir de la jeune génération.

Le budget de l’État, voté jeudi, présente-t-il des marges financières suffisantes pour attaquer les chantiers que vous évoquez ?

Nos finances publiques restent très saines. De nombreux pays envient notre situation. Les marges pour nos revendications, qui ne constituent certainement pas une surenchère, sont donc bien présentes.

En évoquant les pensions, quelle est votre analyse des scénarios inquiétants présentés la semaine dernière par la Fondation IDEA ?

La dernière trouvaille du patronat consiste désormais à diviser les bénéficiaires d’une petite pension et ceux qui touchent une retraite bien plus importante. Je ne considère pas que le régime d’assurance pension verse des retraites trop élevées. Tenter maintenant de semer la zizanie est inacceptable.

Les craintes quant à la pérennité du système ne sont donc pas justifiées ?

L’OGBL plaide pour un renforcement du système. Si jamais les recettes n’étaient plus suffisantes pour pérenniser le système, il faudrait d’abord mettre fin à tous les automatismes prévus dans la loi. On en est néanmoins encore très éloigné. Il est positif de constater que le gouvernement souhaite se pencher sur des modèles de financement alternatifs. Il est clair qu’il faut aussi pouvoir envisager une hausse des cotisations.

À l’approche des élections européennes, quelle note attribuez-vous à l’UE ?

La défaillance de l’Europe sociale fait que l’UE est aujourd’hui moins unie qu’avant. La privatisation de services publics, la diminution des prestations sociales, l’affaiblissement des assurances sociales et la réduction des droits syndicaux ont eu comme effet que 100millions d’Européens, soit un quart de la population totale, se retrouvent en situation de pauvreté. Il ne faut donc pas s’étonner de la montée des tendances nationalistes et extrémistes.

Entretien avec David Marques