Claude Frisoni est de retour sur les scènes luxembourgeoises. Dès jeudi au TOL avec « Mais sois sans tweet », et en avril au TNL, avec « Les Héros sont fatigants ». Deux pièces qu’il a écrites et dans lesquelles il va jouer pour un total de 16 représentations.
Chronologiquement, c’est par son one man show mis en scène par Fabienne Zimmer au TOL, Mais sois sans tweet, qu’il va entamer, demain, son marathon scénique; mais au niveau de la création, c’est avec Les Héros sont fatigants, pièce qui sera jouée au TNL du 25 avril au 9 mai, dans une mise en scène de Jacques Schiltz, avec également Bernard Graczyk, Denis Jousselin et Raoul Schlechter, que tout a commencé. Le thème commun entre les deux : Mai 68, bien sûr, mais aussi le temps qui passe, les anciens, la nostalgie… et surtout la grosse déception de l’après-68.
Les héros, ce sont Léo, Marius et Remy, trois seniors pleins de bobos – les jambes pour l’un, la prostate pour l’autre, la tête pour le troisième –, mais toujours pleins de convictions. Trois anciens soixante-huitards qui, malgré une vie entière de lutte et de militantisme, n’ont pas réussi à changer le monde comme ils l’espéraient. Un crève-cœur, contrebalancé uniquement par le fait que le monde n’a pas non plus réussi à les changer, eux ! Zéro à zéro, balle au centre !
Les trois restent donc figés dans leurs convictions, dopés par leur intransigeance, leur révolte. Et n’hésitent pas à faire appel à la violence !
« Une farce tragique, qui finit mal »
«C’est un texte sur le rapport à la réalité, expliquait l’auteur lors de la présentation de la saison du TNL. Les trois ont vieilli, le monde a vieilli aussi, et ils sont là comme trois personnages dans un train qui avance mais, comme le paysage avance à la même vitesse que le train, ils ont l’impression d’être arrêtés. Tout a bougé, mais leur relation au monde est restée la même. À un moment, ils vont être confrontés à une double réalité : celle du monde et celle de quelqu’un qui n’a ni vécu ce qu’ils ont vécu, ni leur âge, ni leurs convictions, mais qui a une relation affective forte avec l’un des personnages. C’est pour ça que tout part à la dérive.»
Une pièce inspirée par la BD culte de Pierre Christin et Enki Bilal, Les Phalanges de l’Ordre noir, où «des anciens des Brigades internationales qui, à 80 ans passés, reforment leur brigade pour aller lutter contre un fasciste qui a repris du service», résume Claude Frisoni. Mais l’auteur poursuit : «Puis j’ai découvert qu’il y avait une autre façon de parler d’un sujet aussi grave grâce à la lecture d’une autre BD, Les Vieux Fourneaux (NDLR : de Wilfrid Lupano et Paul Cauuet), qui montre qu’on peut aussi parler de ça par la dérision et la farce. C’est pourquoi j’ai écrit une farce. Mais une farce tragique, qui finit mal.»
Les Héros sont fatigants avait intéressé aussi bien le TOL que le TNL. Ce sera donc une coproduction. Mais comme le décor est difficilement transportable, elle ne sera présentée qu’au National. Le Théâtre ouvert voulait un pendant, pourquoi pas une revue de presse scénique. «C’est là que je suis intervenue, que j’ai proposé plutôt à Claude qu’il écrive un truc plus ou moins sur le même thème que Les Héros sont fatigants. Quelque chose de personnel où il regarderait en arrière sur les cinquante années d’histoire depuis Mai 68», note Fabienne Zimmer.
«Que sont devenus nos rêves ?»
C’est ainsi qu’est né Mais sois sans tweet, un titre on ne peut plus frisonien qui rapproche les luttes d’hier, le temps qui passe et le monde d’aujourd’hui qui vibre, qu’on le veuille ou non, à chaque nouveau tweet du président américain. Un seul-en-scène dans lequel l’auteur propose son expérience, assume sa subjectivité, offre toute sa mauvaise foi «d’ancien soixante-huitard anarchiste devenu bobo».
«Je n’ai pas vraiment été un acteur de Mai 68, j’avais 15 ans à l’époque, précise Claude Frisoni. Mais je fais partie de cette génération. J’ai donc voulu assumer la nostalgie. Replonger dans ce qu’on a vécu, ce qu’on n’a pas vécu et surtout dans tout ce qu’on a pris dans la gueule depuis !» Il explique : «Une phrase revient plusieurs fois et qui me semble être le nœud de ce que je ressens, c’est : putain, comment on s’est fait baiser !»
Dans le cadre cosy du bar du TOL, avec un décor minimaliste, juste quelques affiches rappelant 68, et quelques slogans de l’époque devenus cultes, l’homme promet une sorte de «règlement de comptes avec ces 50 années, vécues, mal vécues, par moi et ceux de ma génération». Un seul-en-scène, plein de bons mots, mais qui dresse un constat amer, désabusé ! «Que sont devenus nos rêves ?», lance-t-il à sa génération, qui «semble incapable, aujourd’hui, de faire face au phénomène des gilets jaunes», reprend l’auteur.
Un coup de gueule aussi contre cet homo sapiens et sa vanité qui lui fait croire que la «Terre disparaîtrait avec lui s’il venait à disparaître», alors, que s’interroge l’auteur : «Est-ce que la disparition de l’espèce humaine n’est pas ce qui pourrait arriver de mieux à la planète ?» De quoi plomber l’ambiance. Ce qui fait dire au duo de Mais sois sans tweet : «On va rire, mais le constat est terrifiant !»
Pablo Chimienti