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[BD] Pourquoi l’Histoire a oublié Claudette Colvin, celle qui a inspiré Rosa Parks


L'histoire de Claudette Colvin avait défrayé la chronique à l'époque. Puis la grande Histoire a finalement tourné la page... (photo DR)

Dans « Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin » (éditions Dargaud), Émilie Plateau remet la lumière sur cette jeune femme noire américaine qui a inspiré Rosa Parks.

Tout le monde connaît, ou du moins devrait connaître, Rosa Parks. Cette couturière afro-américaine, militante pour la National Association for the Advancement of Colored People (Association nationale pour la promotion des gens de couleur), est devenue une figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis après avoir refusé, le 1er décembre 1955, de céder sa place de bus à un passager blanc, chez elle à Montgomery, comme elle aurait dû le faire selon la loi en vigueur.

De ce refus naît une campagne de protestation et un long boycott des bus de Montgomery orchestré par Martin Luther King, puis un procès auprès de la Cour suprême qui déclarera anticonstitutionnelles les lois ségrégationnistes. Ce n’est pas pour rien si on a fini par parler de Rosa Parks en tant que «mère du mouvement des droits civiques».

« J’ai payé mon trajet »

Un surnom qu’elle a probablement mérité, son rôle n’est aucunement remis en cause. Mais voilà, ce que la grande Histoire semble avoir oublié c’est qu’elle n’a pas été la première à refuser de céder sa place à un Blanc dans un bus de la ville de Montgomery. Qu’elle n’a pas été la première à avoir été arrêtée par la police pour ce fait. À être passée devant un juge pour ça.

Claudette Colvin a vécu exactement la même aventure, la même année, quelques mois seulement avant Rosa Parks. Le 2 mars, très exactement. L’adolescente quitte l’école et se rend à l’arrêt de bus en empruntant le trottoir réservé aux écoliers noirs – car oui, «Whites» et «Colored» ne devaient jamais partager un même endroit. Sous peine de prison.

Claudette monte dans le bus et s’assied à l’arrière, dans la zone réservée aux Noirs. Mais arrêt après arrêt, le bus se remplit. Et une dame blanche se retrouve sans place assise. Elle s’approche de la lycéenne, mais la jeune reste assise. Le chauffeur arrête le bus et appelle la police. «Lève-toi, sale négresse !», lui lance-t-on, «J’ai payé mon trajet, j’ai le droit d’être là !», répond-elle en pleurs.

Eh oui, si officiellement, c’était juste la séparation qui était demandée par la loi, en vrai, c’était une claire hiérarchie qui était imposée. Les Blancs d’abord. Les autres, Noirs surtout, ensuite !

490_0008_15065585_couv_353527Trop jeune, trop libre, fille-mère…

En plus de redonner sa juste place à Claudette Colvin, c’est toute cette histoire de l’apartheid – en place aux États-Unis, il y a encore une soixantaine d’années seulement –, que rappelle Émilie Plateau à travers son album Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin. Un album petit format, mais de 136 pages tout de même, qui s’adresse directement au lecteur. «Prenez une profonde inspiration. Quittez le lieu qui est le vôtre, passez les ruisseaux, les fleuves, l’océan, sentez la brise… Survolez New York, la statue de la Liberté, l’Empire State Building, longez la côte, cap au Sud» peut-on lire dans la première page du récit.

Et ça continue : «L’air se réchauffe… Virginie, Caroline du Nord, Caroline du Sud. Vous êtes ans la Cotton Belt (…) Vous quittez la côte pour entrer dans les terres (…) Vous roulez vers l’ouest (…) Vous voici à Montgomery (…) Désormais, vous êtes noir (…) Un Noir de l’Alabama (…) Dans les années 1950.»

Une vraie plongée aux dessins hyper-simples, aux fonds souvent immaculés. On sent dans cet album que l’auteur vient de la blogosphère. Une simplicité formelle qui donne encore plus de poids à ce récit étonnant et véridique. Un récit qui permet de comprendre comment et pourquoi Claudette Colvin a été quasiment effacée de l’histoire officielle – trop jeune, trop libre, fille-mère… Pourtant, sans elle, qui sait si Rosa Parks aurait osé «rester assise» si elle n’avait pas connu l’histoire de Claudette Colvin et d’autres femmes noires qui se sont, bien souvent seules, battues pour les droits.

Pablo Chimienti