Le Luxembourg est, avec le Portugal, le seul pays de l’UE à avoir voté pour la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans, le 17 décembre dernier. Les ONG luxembourgeoises saluent le geste.
Les chiffres sont aussi méconnus qu’étonnants : en 2019, 45% de la population active mondiale travaille dans l’agriculture et les paysans, petits et moyens exploitants, produisent 70% de la nourriture mondiale. Paradoxe absolu : 80% des personnes souffrant de la faim dans le monde sont des paysans alors que plus des deux tiers d’entre eux vit dans l’extrême pauvreté.
Loin de s’arranger, cette situation se dégrade au fil des années sous l’effet des politiques néolibérales qui imposent depuis 30 ans des accords de libre-échange destructeurs pour l’agriculture des pays du Sud, contraints d’importer à bas prix les produits de l’agriculture subventionnée des pays développés. D’autres effets de ces politiques détériorent aussi le quotidien de millions de paysans : l’accaparement croissant des terres par des multinationales de l’agroalimentaire ou le brevetage des semences privant les paysans d’exercer le droit fondamental d’utiliser leurs propres semences.
Lutte commencée il y a 17 ans
Face à ce rouleau compresseur, des syndicats et organisations de la société civile se battent depuis 2001 pour faire reconnaître les droits des paysans. Aussi, le vote de l’Assemblée générale des Nations unies, le 17 décembre dernier, en faveur de la «Déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales» représente un tournant historique dans leur combat, à défaut d’être une victoire déterminante.
Le texte est l’aboutissement d’une lutte commencée il y a 17 ans en Indonésie quand un syndicat de paysans s’est dressé contre l’accaparement de leurs terres pour la culture de palmiers à huile. Ils avaient été rapidement soutenus et rejoints par La Via Campesina dont les 250 millions de membres constituent la plus grande organisation de la société civile au monde. Son rôle a été déterminant dans la conquête de ces nouveaux droits.
Bien que cette déclaration ne soit pas contraignante, «elle donne aux paysans du monde entier des ressources juridiques pour faire valoir leurs droits spécifiques, à l’heure où les multinationales sont parvenues à inscrire la défense de leurs intérêts dans divers instruments juridiques internationaux», écrivent treize ONG luxembourgeoises dans un communiqué publié jeudi dernier.
«Il est trop tôt pour identifier les développements juridiques qu’on peut donner à la déclaration, mais dans un premier temps le plus important est que les paysans se l’approprient, qu’ils sachent que ça existe, qu’ils disposent d’un outil pour se battre», souligne Marine Lefebvre, responsable du service information de SOS faim, l’une des organisations luxembourgeoises qui ont milité pour l’adoption du texte auprès des autorités du Grand-Duché.
Jean Asselborn suit les ONG
Un plaidoyer couronné de succès puisque le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, et ses services les ont suivis dans leur revendication. Ainsi, le 17 décembre dernier, à New York, le Luxembourg a voté pour le texte, comme 122 autres pays. Le Grand-Duché est avec le Portugal le seul membre de l’Union européenne à s’être prononcé en faveur de cette déclaration.
Les grands pays industriels et puissances agricoles comme les États-Unis ont voté contre, tandis que d’autres, à l’image de la France ou de l’Allemagne, se sont abstenus. Ils ont fondé leur opposition sur le fait que le texte n’ait pas de portée universelle mais crée un droit spécifique pour les paysans.
«La déclaration crée un droit spécifique face à un problème spécifique», réplique Marine Lefebvre. «Sans surprise, les pays du Nord, comme les États-Unis et la France n’ont pas voté pour cette déclaration», écrivait en décembre l’historienne Chloé Maurel. «Ces pays sont exportateurs de semences et de produits phytosanitaires, ils sont liés aux intérêts des grandes firmes multinationales de l’agroalimentaire», poursuivait cette spécialiste de l’ONU dans une tribune publiée par le quotidien français L’Humanité.
Sur le fond, la déclaration édicte dans 27 articles les droits des paysans en mettant l’accent sur cinq points : la souveraineté alimentaire, le droit à la terre et aux ressources naturelles, le droit aux semences, le droit à un environnement sûr et sain, le droit à des conditions de vie et un revenu décents.
Ces droits constituent aussi une reconnaissance du rôle indispensable de l’agriculture paysanne dans l’alimentation de l’humanité. «C’est un camouflet pour l’agro-industrie qui prétend depuis des décennies nourrir le monde alors qu’en réalité elle ne pèse que 30% dans la production agricole», constate la responsable de l’information chez SOS Faim. «Cette déclaration est un retour au bon sens», déduit Marine Lefebvre. «La question des paysans est centrale dans les défis auxquels fait face l’humanité, tant climatique, sanitaire que social.»
Les ONG luxembourgeoises attendent désormais du gouvernement qu’il traduise son engagement formel en faveur des droits des paysans dans sa législation.
Fabien Grasser