Modelé en 3D, confectionné avec une précision millimétrique et porté par des modèles ordinaires avant d’être commercialisé : le soutien-gorge est un dessous sophistiqué, caché mais qui en dit long sur une époque.
Entre 18 mois et 2 ans et demi s’écoulent entre l’ébauche d’un croquis et l’arrivée d’un soutien-gorge dans le commerce. Les modèles sont retouchés en moyenne 40 fois, l’exigence est de l’ordre de la finesse d’un trait de crayon – c’est exactement ce qui fait la différence entre deux tailles ou deux profondeurs de bonnet.
Dans la maison familiale de lingerie haut de gamme Simone Pérèle, quelque 80 collaboratrices acceptent de tester les futures créations de la marque. Elles s’engagent à porter un soutien-gorge au moins trois jours, le laver tous les soirs pour tester la résistance des matières. Parfois deux retouches sont nécessaires, parfois dix. Ces multiples séances de « fitting » avec des « vraies femmes » expliquent pourquoi il n’existe pas de « corsetier » : ce monde est exclusivement féminin.
Le savoir-faire de l’atelier consiste à concevoir et à ajuster les 20 à 30 pièces qui constituent un soutien-gorge – des éléments de renfort, de tulle, de dentelle qui s’ajoutent à la maille… Plus de 20 matières peuvent entrer dans la confection du produit et on ne les travaille pas de la même manière selon la profondeur du bonnet, afin de garantir un bon maintien à toutes les femmes.
Retour au naturel
Le look compte aussi. Pour la dernière collaboration d’Aubade et de la maison de couture néerlandaise Viktor & Rolf, 12 nuances de fuchsia, couleur phare de la maison de couture néerlandaise, ont été étudiées et c’est finalement une 13e qui a été retenue, raconte la directrice générale déléguée d’Aubade, Martina Brown, en montrant les échantillons. « Ils ont eu des idées sans limites, des propositions parfois infaisables. On a exclu les frous-frous, les nœuds sur le bonnet – ils ont été intégrés dans la broderie -, on a exclu le néoprène qui est mignon mais qui gratte… », raconte-t-elle.
« Le confort a repris énormément de place. Le soutien-gorge, c’est le premier vêtement qu’on met et il touche la peau toute la journée, la séduction vient après », commente Alain de Todellec, président de Promincor-Lingerie française. « Le push-up est en perte de vitesse, on est plus dans l’habillage naturel de la poitrine féminine ». Il y a de plus en plus de soutiens-gorge sans armatures, grâce à des matières innovantes. Addictif pour les femmes, ce produit « qui n’a aucune structure » est toutefois un casse-tête pour les corsetières quand il s’agit d’habiller les poitrines généreuses. Celles-ci ne constituent plus un marché de niche : une femme sur deux (52%) ont un bonnet C, et 25% ont un bonnet D ou plus.
L’industrie du corset s’est développée en France à partir des années 1820. Le corset, symbole du chic parisien, devient par la suite d’usage commun chez toutes les femmes, quelle que soit leur condition sociale.
Ne pas comprimer ni blesser
Et à la fin du 19e siècle, il évolue avec le développement de loisirs en plein air et la pratique croissante des sports. François Auguste Gamichon parvient alors à mettre au point une maille mêlée de caoutchouc vulcanisé, élastique dans les deux sens. Lui et son neveu Paul-Maurice Kretz, avec lequel il s’associe en 1898, sont récompensés de médailles d’or et d’argent aux Expositions Universelles de Paris, Milan et Londres, pour leurs fameux « maintiens-gorge », un produit innovant. Cette lingerie reprend le procédé mis au point par Herminie Cadolle en 1889 qui consistait à soutenir la poitrine par au-dessus, c’est-à-dire à suspendre le poids au moyen de bretelles fixées sur les épaules.
Dès le début des années 1930, les robes deviennent fines et moulantes et on respecte également les proportions naturelles de la poitrine. Avec l’avènement du new look de Christian Dior en 1947, la silhouette se redessine, c’est l’âge d’or de la corseterie, les marques de lingerie se multiplient : Empreinte (1946), Simone Pérèle (1948), Chantelle (1949), Lise Charmel (1950), Aubade (1958). Elles rivalisent d’inventivité pour offrir des soutiens-gorge qui ne compriment ni ne blessent.
L’invention de la fibre élasthanne Lycra en 1959 par la société américaine DuPont de Nemours révolutionne la lingerie. Cette fibre qui a la propriété de s’étirer jusqu’à 7 fois avant de reprendre sa forme initiale procure un inégalable confort. Après mai 1968, certains féministes brûlent leur soutiens-gorge en signe de rejet des valeurs bourgeoises. Depuis, la tendance « no bra » a pris le relais mais peine à s’étendre. Le soutien-gorge, lui, est devenu souvent invisible, confortable, coloré, sans bretelle. Il n’est plus uniquement fonctionnel, c’est une pièce mode.
LQ/AFP