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Les 38 heures dans l’artisanat ? « Une très mauvaise idée »


"Avec une semaine à 38 heures, il faudra du personnel supplémentaire et je ne parle même pas du trafic routier", estime le directeur général de la Chambre des Métiers. (Photo Julien Garroy)

Pénurie de main-d’œuvre qualifiée, mais aussi défis liés à la digitalisation et à la flexibilisation du temps de travail dans l’artisanat : le directeur général de la Chambre des métiers, Tom Wirion, fait le point sur certaines doléances de l’institution adressées au prochain gouvernement.

Le secteur artisanal, au Grand-Duché, représente 7 300 PME (22% de toutes les entreprises) qui contribuent au PIB à hauteur de 10%, 92 000 postes de travail et quelque 1 700 apprentis annuels, ce qui en fait la première entreprise formatrice du pays.

Quelle a été votre première réaction le soir du 14 octobre ? Vous êtes-vous dit que les résultats du scrutin législatif étaient une bonne chose, car ils iraient dans le sens de la continuité ?

Tom Wirion : La Chambre des métiers n’a pas dans ses habitudes de commenter les résultats électoraux, mais nous y voyons, en effet, une opportunité pour notre secteur. Ce sera certainement plus simple et plus rapide de poursuivre des projets déjà engagés, qui s’inscrivent dans la durée, avec la même constellation partisane. De manière générale, nous avons des attentes et aspirons à ce que le secteur de l’artisanat évolue, car il se trouve au cœur de la société, en tant que premier employeur et première entreprise formatrice du pays.

Avez-vous déjà formulé des propositions concrètes au formateur du gouvernement, Xavier Bettel ?

Oui. Nous avons adressé toute une panoplie de réflexions et de propositions circonstanciées, mais nous ne publions pas, pour l’instant, notre cahier de doléances; nous réservons la primeur de nos propositions, pour le moment, aux négociateurs. Dans une 2e phase, nous allons publier ce document de quelque 130 pages, qui n’a pas vocation à rester secret.

Le secteur de l’artisanat souffre d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Est-ce dû à l’image de la formation professionnelle, qui est globalement mal perçue, et que faire pour y remédier ?

De manière générale, les métiers de l’artisanat bénéficient souvent d’une connotation péjorative, car on les associe à des métiers où l’on se salit les mains. Je pense que beaucoup d’initiatives ont été prises, notamment par la Chambre des métiers, pour valoriser l’artisanat. Je pense, entre autres, à la biennale « De mains de maîtres » – projet notamment porté par la Grande-Duchesse héritière Stéphanie –, qui est une superbe vitrine pour le secteur artisanal national, via les métiers de l’art artisanal. La Chambre des métiers a également lancé une campagne de promotion, « Hands Up », qui permet de véhiculer une image davantage positive de l’artisanat auprès des jeunes et de leurs parents.

De plus, la Chambre dispose désormais d’un service – « Perspektiv Handwierk » – par le biais duquel nous visons à intégrer la thématique de l’artisanat dès l’école fondamentale, et cela à travers les différentes matières qui y sont enseignées. D’ailleurs, nous allons proposer un concept pédagogique au futur ministre de l’Éducation nationale, sous forme de boîte à outils à destination des enseignants.

Pourquoi est-ce si complexe de faire changer les mentalités ?

Tout simplement parce qu’au Luxembourg, comme dans les autres sociétés occidentales, les gens préfèrent les postes de bureau. Au Luxembourg, il y a aussi l’aspect attrayant de la fonction publique, qui est peut-être plus important ici que dans d’autres pays. Cela dit, on peut faire toutes les campagnes d’information et de promotion que l’on veut, montrer et valoriser l’artisanat sous toutes ses facettes, mais pour traiter le mal à la racine, je pense qu’il est nécessaire d’agir au niveau de l’orientation scolaire. Je considère que cela constitue le pivot. Dans la pensée commune actuelle, si vous êtes mauvais en mathématiques et mauvais en langues, alors vous êtes un bon artisan. Une équivalence effective entre les formations classiques et techniques est nécessaire dans le processus d’orientation scolaire.

Cela signifie qu’il faut considérer tout élève dans son intégralité : voir quelles sont ses compétences en mathématiques et en langues, bien sûr, mais il faut aussi prendre ses aptitudes techniques en compte! Il doit donc être possible de pouvoir procéder à une orientation scolaire revue et corrigée.

Venons-en aux négociations de coalition entre DP, LSAP et déi gréng. Êtes-vous pour la semaine de 38 heures combinée à une semaine de congés supplémentaire, comme le revendique le LSAP ?

Ce n’est pas envisageable pour la Chambre des métiers de passer à une semaine de 38 heures qui serait payée au niveau d’une semaine de 40 heures. Selon l’argumentation des pro-38 heures, on pourrait se le permettre car on vendrait des gains de productivité qui seraient liés à la digitalisation. Or ces gains sont fictifs ou « encore fictifs » à l’heure actuelle. De plus, j’estime qu’il s’agit d’une très mauvaise idée si l’on tient compte de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans l’artisanat. Avec une semaine à 38 heures, il faudra du personnel supplémentaire et je ne parle même pas du trafic routier. Cette idée, du point de vue de la productivité et de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, est farfelue !

Entretien avec Claude Damiani

A lire en intégralité dans Le Quotidien papier du lundi 12 novembre

Un commentaire

  1. Evitons de faire les mêmes erreurs que la France. 40 heures, c’est très bine ainsi.