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[Expo] Jeff Wall au Mudam : les reflets de la réalité


«Tout est mise en scène, même les photos de famille !», explique l'artiste. Et «comme la vie de tous les jours est un théâtre», il s'en inspire sans retenue. (©Jeff Wall)

En quatre décennies, Jeff Wall est devenu une référence dans le monde de l’art contemporain en bousculant les codes de la photographie. Le Mudam lui rend hommage.

Il y a quelques années de cela, alors que le Mudam inaugurait une imposante exposition sur le rapport entre art et destruction («Damage Control», 2014), une photographie, lumineuse, marquait les esprits. The Destroyed Room, représentant une chambre totalement dévastée, lançait, par sa puissance et sa beauté plastique, la carrière de Jeff Wall. On est en 1978.

Inspiré du non moins célèbre tableau de Delacroix La Mort de Sardanapale, elle pose surtout les bases d’un travail qui fait figure de révolution dans le milieu, qui n’a d’yeux alors que pour Robert Frank. L’artiste canadien explique : «C’était une référence ! Tout le monde voulait faire comme lui: suivre l’action et capturer la réalité. Pour moi, cette photographie de reportage était trop restrictive. On pouvait aller bien plus loin… »

Il le clame, même, de sa voix légère: oui, la «photographie peut être un art, ce qui n’était pas forcément le cas il y a quarante ans». Il impose donc sa méthode, ses œuvres, regroupées aujourd’hui sous le terme de «tableau photographique». Jeff Wall voit en effet plus loin et plus grand. Alors qu’à l’époque, on était habitué à des tirages de petit format, lui «va mettre la photographie sur les murs des musées, en s’inspirant de la tradition picturale», explique Christophe Gallois, co-commissaire de l’exposition «Appearance», aux airs de rétrospective.

« Tout est mise en scène »

Pas moins de 27 œuvres «XXL», dont certaines «iconiques», rappelle l’autre co-commissaire, Clément Minighetti, investissent généreusement le Mudam, mettant parfaitement en valeur le vaste horizon que s’est tracé l’artiste et montrant les multiples ressources de l’image mise en scène. On passe ainsi de scènes théâtralisées à d’autres, témoins de la banalité du quotidien, du noir et blanc à la couleur, de caissons lumineux à de simples tirages…

«Tout est mise en scène, même les photos de famille !», explique-t-il dans un rare sourire. Et «comme la vie de tous les jours est un théâtre», l’homme s’en inspire sans retenue, mais pas que. «Je me sens libre de composer une image à partir de n’importe quel élément que je trouve approprié, explique-t-il. Il n’y a pas de règle, ça peut être une chose que j’ai vue mais aussi une histoire qu’on m’a racontée, un livre, ou même un rêve.»

The Flooded Grave (2000), où, dans un cimetière, une tombe inondée dévoile son fond marin, est bien la preuve que l’étrange a bien sa place dans l’univers de Jeff Wall. Picture of Women (1979), reprise d’un tableau de Manet (Un bar aux Folies-Bergère), revient quant à elle aux premiers élans de l’artiste, avec cet art de la «réappropriation».

Dimension sociale

Dans un autre registre, plus littéraire celui-ci, on trouve aussi le splendide Invisible Man (200), en référence à la nouvelle de Ralph Ellison. Une photographie à dimension sociale, avec l’histoire d’un homme noir américain sans identité, vivant en secret dans le sous-sol d’un immeuble, éclairé d’un plafond de 1369ampoules branchées illégalement aux compteurs électriques du bâtiment…

Abordant des préoccupations telles que les questions de la figure, du geste, de la parole, du regard, du paysage ou de l’image elle-même, son travail, aux couleurs éclatantes et aux détails inépuisables, sont des modèles de construction patiente, quand elles ne naissent pas sur le vif. «Parfois, ça peut prendre une seconde, explique-t-il. Un mec qui marche… et clic. Parfois, ça prend plusieurs semaines, nécessaires, par exemple, pour construire un décor.» Et diriger ses comédiens, parfois planqués dans la foule, comme cet homme à la rose (In Front of a Nightclub, 2006). «Je n’ai pas de méthode. Ça change à chaque image», clame-t-il.

Jeff Wall, qui n’avait plus connu telle rétrospective en Europe depuis 2005 à la Tate Modern, à Londres, s’impose au Mudam comme un étonnant metteur en scène, toutefois avare de ses secrets. Il reste aussi énigmatique que ses images, dont il refuse de livrer trop de clés. «L’artiste n’a pas son mot à dire, il fait ce qu’il a à faire, et les gens comprennent à leur façon», lâche-t-il. À chacun donc de se frayer un chemin dans ces mini-drames aux multiples influences. Autant d’énigmes sans résolution possible.

Grégory Cimatti

Jusqu’au 6 janvier 2019. Toute une programmation accompagne l’exposition. Plus d’infos sur mudam.lu