Oleg Sentsova obtenu jeudi le Prix Sakharov décerné par le Parlement européen. Après une grève de la faim de 145 jours, il est plus que jamais devenu le symbole de l’opposition ukrainienne à la Russie, où il purge une peine de 20 ans de camp pour « terrorisme ».
Le prix Sakharov distingue depuis 1988 des personnes ou des organisations qui défendent les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Doté de 50 000 euros, il est cette année attribué à Oleg Sentsov, un réalisateur ukrainien prometteur jusqu’à ce que son engagement politique lors du soulèvement pro-européen du Maïdan à Kiev à l’hiver 2014, puis l’annexion de la Crimée quelques semaines plus tard ne bouleverse son destin.
Reconnu coupable par la justice russe de « terrorisme » et « trafic d’armes » en 2015 dans sa Crimée natale, à l’issue d’un procès dénoncé comme « stalinien » par l’ONG Amnesty International, Sentsov, 42 ans, est depuis détenu dans une prison du Grand nord russe.
Le 14 mai, il entame une grève de la faim pour exiger la libération de tous les « prisonniers politiques » ukrainiens détenus en Russie. Sans succès : malgré des discussions entre les présidents russe et ukrainien sur un possible échange de prisonniers, malgré l’appel de sa mère à Vladimir Poutine, malgré de nombreuses marques de soutiens dans le monde, le Kremlin laisse Oleg Sentsov poursuivre sa protestation dans une apparente indifférence.
Le 5 octobre, après 145 jours de jeûne, le cinéaste annonce l’arrêt de sa grève de la faim de peur d’être nourri de force. Selon sa cousine, Natalia Kaplan, sa santé a été « gravement éprouvée » par cette longue période de privations, pendant laquelle sa vie ne dépendait que des compléments et vitamines fournies par l’administration pénitentiaire. Malgré ses problèmes de foie, de cœur et de cerveau, la libération de Sentsov semble désormais plus éloignée que jamais, alors que le réalisateur se refuse à demander une grâce présidentielle. Et ses soutiens commencent à perdre espoir.
« Une personne réfléchie, responsable »
De sa carrière de cinéaste, le public retient surtout son film Gamer, tourné avec seulement 20 000 dollars de budget, qui raconte l’histoire d’un adolescent qui participe à des compétitions de jeux vidéo tout en faisant face à une vie quotidienne difficile dans un village d’Ukraine. Un film issu de l’expérience personnelle d’Oleg Sentsov qui a consacré huit ans de sa vie aux compétitions de jeux vidéo et financé son film en travaillant en tant que gérant d’une salle de jeux à Simféropol, la capitale de la Crimée. Tourné dans un style réaliste, Gamer, montré dans de nombreux festivals européens, est récompensé à Rotterdam en 2012, ce qui permet au cinéaste de se lancer dans le tournage de son deuxième long-métrage.
Mais la préparation de Rhino est interrompue quand ce père de deux enfants décide de s’engager dans « Automaïdan », une des branches du mouvement pro-européen qui a conduit à la destitution du président ukrainien Viktor Ianoukovitch en février 2014, après plusieurs mois de manifestations.
Le réalisateur milite ensuite contre l’annexion de la Crimée par la Russie, se souvient Kostiantyn Reoutski, un militant ukrainien l’ayant côtoyé à cette époque. « Oleg et ses camarades organisaient des rallyes automobiles en Crimée, avec des symboles et des drapeaux ukrainiens. Ils en accrochaient aussi aux murs (…) et ils ont continué de le faire après l’annexion, quand tout le monde était parti », racontait-il en 2015. « C’est une personne réfléchie, responsable et pleine d’initiative (…) Son but était de montrer que la Crimée n’était pas prorusse à 100% ».
Deux mois après l’annexion, dans la nuit du 10 au 11 mai, le réalisateur est arrêté chez lui, puis incarcéré à Moscou dans la prison de haute sécurité de Lefortovo jusqu’au début de son procès à Rostov-sur-le-Don, dans le sud-ouest de la Russie. Le cinéaste avait alors fait preuve d’une force de caractère étonnante, souvent souriant et parfois provocateur, au cours de son procès, où il était accusé d’avoir organisé des incendies criminels contre des antennes d’un parti pro-Kremlin et d’avoir planifié d’autres attaques, dont une visant une statue de Lénine à Simféropol.
« Il n’est pas suicidaire, il veut et espère vivre. Il m’a fait penser à un malade du cancer persuadé qu’il vaincra la tumeur et qu’il vivra », selon la journaliste et militante des droits de l’Homme Zoïa Svetova après l’avoir rencontré mi-août dans sa prison du Grand Nord russe.
LQ/AFP