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[À table avec…] David Wagner (déi Lénk) : «C’est le système qui est radical»


Tout ne va pas si bien au Luxembourg où la pauvreté est réelle, affirme David Wagner qui prône la rupture avec le système néolibéral. (Photo Julien Garroy)

À l’occasion des législatives, Le Quotidien passe à table à l’heure du petit-déjeuner avec les têtes de liste  ou les candidats emblématiques. Pour un échange libre et dépourvu, si possible, de langue de bois.

Pourquoi fait-on de la politique? «Petit, on se demande pourquoi les uns ont une vie agréable et pas les autres… Puis on comprend que cela ne dépend pas des gens, mais du contexte politique.» C’est ce que répondait David Wagner en avril 2015, alors qu’il venait d’entrer à la Chambre des députés, remplaçant sur les bancs de déi Lénk Justin Turpel, son colistier dans la circonscription Centre.

La réponse ne laisse aucun doute sur la motivation et l’engagement de l’élu de 39 ans : défendre les plus démunis, revendiquer un monde socialement plus juste, dans lequel les richesses sont d’abord redistribuées à ceux qui les produisent, c’est-à-dire les salariés. L’augmentation du salaire minimum et le passage à terme à une semaine de travail de 32 heures, inscrits dans le programme de déi Lénk, sont un reflet concret de ces aspirations.

Le besoin de se mobiliser, de s’impliquer dans le débat public, de tenter de changer un monde profondément inégalitaire a d’abord mené David Wagner vers le KPL, à l’âge de 16 ans. Après ce passage au Parti communiste luxembourgeois, il n’a pas immédiatement adhéré à la formation dont il est devenu une figure au fil de ces dernières années.

Remise en cause du néolibéralisme

«Je suis d’abord entré aux Jeunesses socialistes luxembourgeoises, c’était dans la foulée du mouvement lycéen de 1995/1996 et, pour être tout à fait honnête, c’était avant tout une question humaine : tous mes potes étaient aux JSL et je les ai rejoints.» Un regret? «Non pas du tout, avec d’autres on a dirigé les JSL dans une perspective qui n’était pas du tout social-démocrate», sourit David Wagner des années plus tard, avec l’air un peu potache de celui qui a fait un mauvais coup à son prof.

Face à un LSAP fasciné par les sirènes du néolibéralisme, cela ne pouvait évidemment pas durer. «Nous rompons avec l’extrême centre car nous remettons précisément en cause ce système néolibéral», dit le député en constatant que tous les partis de gouvernement s’entendent à perpétuer un modèle économique et social dans lequel le profit préempte l’humain.

En ce matin ensoleillé de la fin septembre où David Wagner nous a donné rendez-vous au café Vis-à-Vis, à deux pas de la place du Théâtre de Luxembourg où est établi son groupe politique, il a manqué de peu pour qu’il croise l’un des représentants de l’«extrême centre» : la tête de liste des chrétiens-sociaux, Claude Wiseler, qui vient de quitter les lieux après… une entrevue avec une journaliste. «Le CSV est le représentant du grand capital», tranche le député de la Gauche. «Que disent-ils sur les pensions dans leur programme? Ils ne disent rien car ils ne veulent pas reconnaître qu’une fois revenus au pouvoir, ils privilégieront le pilier privé au détriment du système par répartition. C’est favoriser le capitalisme.»

«La branche se scie elle-même»

«Grand capital», «capitalisme»? Ces mots fleurent bon Karl Marx, objet de railleries au pays de la finance triomphante. «On parle beaucoup de néolibéralisme, mais le terme capitalisme est plus approprié.» David Wagner ne renie pas l’auteur du Manifeste et du Capital : «Pour moi, c’est la meilleure méthode dialectique. Il est vrai qu’il y a un substrat marxiste chez déi Lénk, mais d’autres courants existent, nous sommes un parti avec des traditions politiques très diverses.»

Dans un Luxembourg plutôt épargné par la crise de ces dix dernières années, porter cette voix contestant les fondements de la prospérité c’est un peu scier la branche sur laquelle l’on est assis. «La branche se scie elle-même. Il est illusoire de penser que les choses vont continuer ainsi indéfiniment. Tout va bien, nous dit-on et pourtant la pauvreté au Luxembourg est réelle. Ceux qui n’ont que le salaire minimum ont bien du mal à s’en sortir, ne serait-ce qu’en raison du prix des logements.»

Cela dit, un autre extrémisme que le centre menace aujourd’hui les démocraties : l’extrême droite. «Ce n’est pas un hasard. La fonction historique de l’extrême droite est de dévier le débat. C’est le paratonnerre du capitalisme. Afin que les gens ne prennent pas conscience qu’il s’agit d’un problème de classe, on crée un problème de race. On désigne un bouc émissaire : l’étranger.»

Avec les fonctionnaires

Soit! Pourtant, c’est elle qui a le vent en poupe et non les partis de gauche qui dénoncent la faillite du néolibéralisme. «Il y a eu un conditionnement autour de la concurrence et de la compétition dirigées contre l’action et l’intérêt collectif. Il y a aussi le rôle des médias. Un exemple : après les législatives en Suède, le 9 septembre, ils se sont focalisés sur le score moins élevé que prévu de l’extrême droite. Mais personne n’a parlé de la percée du parti de gauche qui a pourtant créé la surprise.»

Serait-on face à un complot ourdi par un grand ordonnateur qui appuie sur des boutons pour préserver les intérêts dominants ? «Sûrement pas», répond-il dans un éclat de rire : «Il y aurait plutôt plein de personnes qui appuient en même temps sur tout un tas de boutons, parfois de façon totalement contradictoire et désordonnée», s’amuse l’élu.

Rassemblement de protestation de la CGFP, le 27 novembre 2017. David Wagner était le seul élu du parlement à se tenir aux côtés des fonctionnaires lors des manifestations de l'an dernier contre la réforme de la fonction publique. (Photo : Fabrizio Pizzolante)

Rassemblement de protestation de la CGFP, le 27 novembre 2017. David Wagner était le seul élu du parlement à se tenir aux côtés des fonctionnaires lors des manifestations de l’an dernier contre la réforme de la fonction publique. (Photo : Fabrizio Pizzolante)

Ces derniers mois, David Wagner a été le seul député à se ranger aux côtés de la CGFP lors de manifestations au cours desquelles le syndicat des fonctionnaires mobilisait ses troupes pour défendre le service public. À ceux qui y ont vu un opportunisme électoral, il rétorque «cohérence» : «Nous sommes en faveur d’un service public fort, qui défend l’intérêt général sans recherche de profit et il est donc tout à fait naturel que nous soyons aux côtés de fonctionnaires qui assurent un service qui est aujourd’hui de qualité.» Le combat n’a rien d’abstrait : «Le tram est exploité par Luxtram, une société privée dont les capitaux sont pour l’instant publics. Mais cela peut changer. À ce jour, les salariés n’ont pas de convention collective, cela en dit long sur la conception que se fait le gouvernement du service public.»

Écologie : « Le capitalisme qui casse tout »

Ce qui devient également très concret aux yeux de David Wagner et de son parti, c’est l’urgence écologique : «La question qui se pose désormais est celle de la survie de l’humanité. Les signes deviennent palpables : les canicules, les sécheresses, les inondations, mais aussi des tensions de classe exacerbées par ces problèmes. Avec le dérèglement climatique et la disparition des espèces, la vie va commencer à être plus difficile.» Pour le militant de la Gauche, il n’y a pas de doute sur le fait que «c’est le capitalisme qui casse tout». À ses yeux, «ce système ne résoudra pas le problème. Le danger est connu depuis plus de 40 ans et pourtant rien ne s’est passé. Le monde entier risque d’y laisser sa peau, sauf ceux qui auront le plus de moyens, c’est-à-dire ceux-là mêmes qui sont responsables du désastre.»

L’écologie saupoudre les programmes de tous les partis, mais David Wagner se défend de surfer sur la vague : «Nous ne découvrons pas l’écologie, elle est inscrite dans nos programmes de longue date.»  Les mesures en faveur de la réduction de la consommation d’énergie, des transports en commun gratuits ou de la taxation accrue des énergies fossiles sont en tout cas salué par le Méco, le Mouvement écologique, sa présidente, Blanche Weber, affirmant hier dans Le Quotidien qu’avec déi gréng, la Gauche est le seul parti à réellement voir «la nécessité d’un changement fondamental».

Pour le député déi Lénk, son parti rencontre un écho grandissant car une écoute car «beaucoup de gens qui se sentent isolés se rendent compte que nous disons précisément ce qu'ils pensent». (Photo Julien Garroy)

Pour le député déi Lénk, son parti rencontre un écho grandissant car une écoute car «beaucoup de gens qui se sentent isolés se rendent compte que nous disons précisément ce qu’ils pensent». (Photo Julien Garroy)

Pourtant, sur cette question, l’approche des deux formations est bien différente, les écolos estimant que le marché s’adaptera et apportera les réponses à même d’éviter la tragédie. «Il s’agit d’une absence de culture politique», juge David Wagner. «Les verts sont devenus des techniciens issus de classes sociales ouvertes mais aisées. Ils ne remettent pas en cause le système dont ils profitent.»

Passer de deux à cinq députés

L’attaque est saillante. «On dit parfois que je suis trop radical. Mais c’est le système qui l’est. Il a engendré deux guerres mondiales, est responsable de grands déséquilibres qui font qu’aujourd’hui un continent tout entier comme l’Afrique cherche à fuir la pauvreté.»

À l’issue du scrutin de dimanche, David Wagner vise la constitution d’un groupe parlementaire à part entière, c’est-à-dire l’élection de cinq députés en lieu et place des deux actuels. Une ambition démesurée? «Nous ne pourrions évidemment pas gouverner avec un parti inscrit dans la logique libérale. En revanche, nous voulons être une force dans la société. Nous avons une écoute car beaucoup de gens qui se sentent isolés se rendent compte que nous disons précisément ce qu’ils pensent.»

À voir l’évolution du vote lors des deux derniers scrutins législatifs, ils sont de plus en plus nombreux à penser ce que dit déi Lénk. Alors que dans le système électoral luxembourgeois qui permet le panachage, le parti avait obtenu moins de 110 000 voix en 2009, il en a récolté plus de 160 000 en 2013. Le chemin est tout tracé.

Fabien Grasser

Un commentaire

  1. La sele façon de défendre les « plus démunis », selon l’expression consacrée, c’est de favoriser la croissance et par conséquence l’emploi. Pour cela il faut libérer les énergies et non prendre aux riches pour le donner aux pauvres, ce qui conduit à une spirale déflationiste et à toujors plus de pauvres, comme la France le démontre tous les jours.
    Ce Monsieur devrait prendre des cours déconomie.