Danielle Igniti, la directrice du centre culturel régional Opderschmelz à Dudelange et ancienne présidente du Planning familial, s’exprime sur la politique d’égalité des chances et la politique culturelle au Luxembourg.
L’année 2018 a été marquée par des mouvements comme #MeToo sur les réseaux sociaux qui ont permis aux femmes de dénoncer les harcèlements et les violences conjugales dont elles ont été victimes. Rien de tout cela au Luxembourg. Avons-nous les hommes les plus vertueux du monde?
Danielle Igniti : Non et je suis bien placée pour le savoir, d’abord parce que je suis une femme avec ma propre expérience et parce que j’ai passé de longues années au Planning familial. J’ai vu des femmes complètement détruites par des hommes. Le Luxembourg n’est pas une île et le même phénomène existe ici. La petitesse du pays nous permet encore moins d’étaler ces témoignages en public. Le fait que tout le monde connaît tout le monde enferme ces femmes dans la peur du regard de l’autre. Et puis il y a la mentalité des Luxembourgeois qui ne sont pas réputés pour leur esprit de révolte, ce qui explique qu’ils n’aiment pas trop les Français qui la ramènent tout le temps. Ce n’est pas dans le caractère des Luxembourgeois.
En revanche, la révolte, cela vous connaît bien…
Oui, je suis connue pour ça. Mais ce n’est pas toujours un avantage, car c’est plutôt mal vu, c’est dérangeant.
Michel Wurth […] c’était à mourir de rire
On se souvient du « Madame vous emmerde… » que vous avez balancé sur les réseaux sociaux en réponse à une campagne du LSAP visant à encourager les femmes à s’engager dans la politique communale avec un visuel qui montrait un sac à main rose… Pourquoi cette sévérité?
À cause du sac à main. On ne pouvait pas faire plus « cliché » et à côté de la plaque comme visuel. Si, au moins, on avait mis une brique dans le sac qu’on aurait balancé à la figure du premier qui nous importune… Mais flanquer un sac à main rose pour symboliser les femmes, je ne trouve pas que ce soit une bonne idée. Mais je connais aussi l’hypocrisie de ce parti qui, dans ses structures et dans son fonctionnement, ne fait rien pour les femmes et qui finance une telle campagne pour faire semblant. J’ai mon expérience avec ce parti où les femmes avec ou sans sac à main ne sont jamais écoutées. On critique toujours ceux qu’on aime bien parce que je me moque complètement des campagnes du Parti chrétien-social. Je reconnais que la critique est facile, mais on ne peut pas toujours opérer avec des clichés comme ça, parce que les femmes en politique, c’est beaucoup plus compliqué. En plus, on voyait des gens, comme Michel Wurth pour ne citer que lui, qui arboraient un t-shirt en soutien à une campagne pour l’égalité des chances, c’était à mourir de rire. Un Michel Wurth, qui est toujours en costard-cravate, n’en a rien à faire de l’égalité des chances. Il ne faut pas prendre les gens pour des cons non plus. Il ne s’est jamais engagé ni exprimé pour ce sujet.
Vous défendez toujours les quotas de femmes?
Oui et je le ferai jusqu’à la fin de mes jours. C’est juste un moyen, mais c’est le seul qui fonctionne. Il faut imposer les choses, car si on attend une évolution, ça peut durer. Du singe jusqu’au premier mec, ça a pris du temps quand même et on n’a pas le temps. Le monde change vite et les femmes sont là, elles sont intelligentes, elles sont capables, elles travaillent et il faut que quelque chose se passe. Les pays nordiques ont montré que les quotas ont été un moyen efficace pour faire évoluer les choses. Je ne suis pas du tout d’accord avec ceux qui disent d’abord la compétence. Des types qui ont prouvé leur incompétence sont toujours là, il n’y a qu’à regarder les listes électorales.
Les lois existent, notamment pour l’égalité salariale, et pourtant cela ne fonctionne pas…
Non, cela ne fonctionne pas parce que l’on parvient toujours à contourner une loi. Je prends l’exemple du congé parental où personne n’a jamais imposé la parité, c’est-à-dire six mois pour le père et six mois pour la mère. On préfère dire que si le père ne le prend pas, la femme peut se servir. Il faut plus de radicalité pour que les choses changent et c’est à la politique de l’imposer. S’il n’y a pas assez de femmes dans un conseil d’administration, il suffit de ne pas le valider, c’est tout, et je vous garantis qu’ils vont les trouver les femmes, puisqu’elles sont là. J’ai participé récemment à une table ronde où il n’y avait que des femmes, pour changer, mais j’ai dit qu’il fallait au moins un homme pour discuter et entendre son point de vue.
Sous cette législature a été votée la loi dite « antiburqa », contre la dissimulation du visage. Qu’en pensez-vous?
C’est une loi populiste pour moi, c’est clair. J’étais horrifiée, j’ai trouvé ça d’une nullité absolue. C’est une stigmatisation, même si je suis toujours choquée de voir une femme entièrement voilée. Cette loi n’a résolu aucun problème, au contraire, ces femmes ne vont plus sortir en public, c’est tout. On nous a vendu cela comme loi féministe, mais c’est complètement idiot et c’est le seul qualificatif que je peux trouver. Cette loi a été faite pour contenter des trous du cul de nationalistes, des xénophobes et pour pêcher quelques voix de ce côté-là. C’est tragique […]
Entretien avec Geneviève Montaigu