L’hémorragie de la livre turque face au dollar pose le plus sérieux défi économique à la Turquie de Recep Tayyip Erdogan depuis la crise financière de 2001. Les raisons sont à la fois conjoncturelles et structurelles.
Le 10 août, déjà baptisé « Vendredi noir » par des économistes, a vu la livre perdre quelque 16% de sa valeur face au dollar, une débâcle accélérée par un tweet de Donald Trump annonçant le doublement des taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium turcs. Le président Erdogan a tenté de rassurer les marchés lundi en affirmant que les fondements de l’économie turque étaient « solides ». Mais les économistes estiment que des explications aux difficultés de la Turquie –17e puissance économique mondiale qui connaît une forte croissance– sont à chercher plus loin que les politiques économiques du gouvernement.
Début août, les Etats-Unis ont imposé des sanctions contre deux ministres de Recep Erdogan pour protester contre l’emprisonnement d’un pasteur américain, Andrew Brunson. Ankara a répliqué avec des mesures similaires. Cette crise entre deux membres importants de l’Otan, la plus grave en plus de 40 ans, a donné des sueurs froides aux investisseurs et a provoqué une chute de la livre turque face au dollar la semaine dernière.
Donald Trump a attisé le feu
Le tweet de Donald Trump sur le doublement des taxes vendredi n’a fait qu’aggraver la situation. Les sanctions américaines « assèchent le flux de capitaux » en direction de la Turquie, souligne Capital Economics. Avant même l’éruption de la crise avec les Etats-Unis, des économistes mettaient en garde contre l’imminence d’une tempête financière. C’est d’ailleurs pour la devancer que Recep Erdogan a avancé à juin dernier des élections prévues en 2019, estiment les observateurs.
Le président turc a été confortablement réélu pour un mandat de cinq ans aux prérogatives renforcées. Les tensions entre Ankara et Washington « n’ont fait qu’exacerber » une crise économique émergente, décrypte Paul T. Levin, directeur de l’Institut des études turques à l’université de Stockholm. Les problèmes structurels de la Turquie sont illustrés par une forte inflation qui a atteint près de 16% en glissement annuel en juillet et un déficit des comptes courants qui ne cesse de se creuser.
Popularité grâce à la croissance
Recep Erdogan a bâti une grande partie de sa popularité depuis son arrivée au pouvoir en 2003 sur une forte croissance et des grands projets d’infrastructures qui ont transformé le pays. Les économistes décrivent le président turc comme un partisan de la « croissance à tout prix ». A commencer par celui d’un fort endettement. Recep Erdogan provoque régulièrement des haussements de sourcil en soutenant des thèses à rebours de la pensée économique classique. Il affirme par exemple que baisser les taux d’intérêt fait baisser l’inflation, alors que la plupart des économistes défendent l’inverse. « Il était évident depuis un certain temps (…) que la mauvaise gouvernance économique finirait par avoir des conséquences », souligne Paul Levin.
La banque centrale de Turquie est censée être indépendante, mais de nombreux économistes considèrent qu’elle est de plus en plus sous la pression de Recep Erdogan. Sa décision de ne pas relever ses taux d’intérêt le mois dernier en dépit d’une forte hausse de l’inflation a sidéré les marchés.
Le gendre bombardé au ministre des finances…
La banque centrale a annoncé lundi une série de mesures pour rassurer les investisseurs, notamment des facilités pour les liquidités, mais elle n’a pas mentionné les taux. « Les mesures concernant les liquidités ne s’attaquent pas au problème principal qui est la chute de la livre », souligne Konstantinos Anthis, analyste pour ADS Securities. Les élections de juin ont marqué une refonte de la politique en Turquie. Le pays est passé à un système hyperprésidentiel qui concentre dans les mains du chef de l’Etat tous les pouvoirs exécutifs.
Recep Erdogan n’a pas gardé dans son gouvernement le vice-Premier ministre Mehmet Simsek, une figure respectée et appréciée des marchés. Il a en outre confié les manettes de l’économie à son gendre relativement inexpérimenté, Berat Albayrak, bombardé ministre du Trésor et des Finances. Sa nomination a été accueillie par une chute de la livre. « C’est sans aucun doute l’absence d’une réponse rapide, ferme et rationnelle de la part des autorités turques qui a envoyé la livre dans les abysses », note Paul Levin.
AFP