Chaque mercredi et vendredi, le public peut observer au MNHA le travail de restauration de Vue sur le château de Larochette, paysage romantique d’un intérêt exceptionnel pour le Grand-Duché.
Dos à la vitre de l’atelier temporaire installé au 2e étage du musée national d’Histoire et d’Art (MNHA), Simone Habaru, équipée de lunettes loupes ainsi que d’une minilampe UV et armée d’un petit bâtonnet en bois, s’applique à gratter méticuleusement les restes du vernis qui a participé à dénaturer une œuvre jugée capitale tant sur le plan artistique que sur le plan historique pour le Luxembourg : Vue sur le château de Larochette, du peintre néerlandais Barend Cornelis Koekkoek, l’un des peintres paysagistes les plus importants du XIXe siècle.
Ce tableau peint en 1848 et racheté par le Luxembourg grâce à une opération de financement participatif lancée en 2016 a en effet subi les affres d’un restaurateur peu précautionneux et fait aujourd’hui l’objet d’un travail de restauration minutieux mené par Simone Habaru, restauratrice d’œuvre d’art depuis 26ans, et diplômée de l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre, à Bruxelles.
«Lorsque le tableau est arrivé, on pensait qu’il n’y avait pas trop de problèmes. Mais en le regardant de plus près, les dégâts se sont avérés particulièrement importants. Nous avons constaté pas moins de 48 déchirures, le tableau a été agrandi, coupé, frotté à la laine d’acier pour faire adhérer du mastic, complètement surpeint, recouvert de vernis et de colle! C’est une catastrophe et un véritable casse-tête!»
Observations à la loupe et au microscope, photographie aux ultraviolets, radiographie et sondages stratigraphiques ont permis de constater les différentes modifications apportées à la toile originelle et déterminer la date du «crime».
«C’est assez récent, après 1970, car la colle dont a été imprégnée le tableau a été inventée cette année-là», signale Simone Habaru, qui a une hypothèse pour expliquer ce travail qui relève de celui d’un faussaire.
«On n’a pas affaire ici à un restaurateur qui respecte l’éthique. À mon avis, cette personne a tenté de camoufler les déchirures et a tout repeint et suivi les contours au millimètre près dans le but de tromper. Le tableau était connu, mais en mauvais état. Elle l’a probablement repris pour faire croire qu’il était en bon état et pouvoir ainsi mieux le revendre. Je n’ai jamais vu des retouches d’une telle ampleur.»
Souci de réversibilité
Par chance, le génie de Koekkoek a permis de préserver son tableau. «Il a une très bonne technique picturale, une très bonne préparation et ses mélanges de couleurs sont très bien faits. Heureusement, sinon le tableau n’aurait peut-être pas survécu!»
Depuis le mois de février dernier, Simone Habaru s’attelle donc à rendre son éclat et surtout son âme à ce tableau commandé à l’origine par le Roi des Pays-Bas et Grand-Duc de Luxembourg, Guillaume II. «J’ai d’abord fabriqué un gel avec du solvant pour pouvoir retirer le vernis, centimètre carré par centimètre carré. Il m’a fallu près de 150heures pour dégager la couche picturale.» Simone Habaru s’est ensuite attaquée au revers, en sécurisant les déchirures sur le point de s’ouvrir, «la mort pour un tableau», et en doublant la toile d’une seconde.
En ce moment, elle poursuit le travail de nettoyage de la toile afin de retirer les infimes traces de vernis qui demeurent et permettre que le vernis qu’elle appliquera par la suite soit régulier. «Ensuite, là où il y a des lacunes, j’appliquerai du mastic pour remettre tout à niveau, puis je pourrai commencer la retouche et le repiquage des zones usées.» Pas question en effet de repeindre entièrement le tableau ni de masquer le travail de restauration. Si le public n’y verra que du feu, les restaurateurs devront eux pouvoir facilement déceler les zones rattrapées, notamment grâce aux lampes UV.
«Il ne s’agit pas de cacher. La retouche se fait à l’aquarelle, puis on applique des pigments et un liant acrylique. On ne restaure pas à la peinture à l’huile (NDLR: technique utilisée par Koekkoek) dans un souci de réversibilité. On doit toujours être dans l’optique d’être honnête.» Et pour cela, il faut aussi s’effacer derrière le peintre. «Je n’ai aucune personnalité», déclare sans hésitation Simone Habaru. «Je ne suis pas une artiste, je reste très neutre, je ne reproduis pas la touche du peintre, mais procède par petits points.»
Toute à la joie d’avoir pu redécouvrir la vraie couche picturale de Vue sur le château de Larochette, Simone Habaru reprend ses outils: le tableau doit être accroché au MNHA en décembre.
Tatiana Salvan