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En Chine, les transgenres sortent de l’ombre pour contrer les discriminations


Xiaomi se décrit elle-même comme transgenre dans un pays où ils se montrent petit à petit. (Photo : AFP)

Dans une Chine rétive à accepter les personnes transgenres, cette communauté victime de rejets et de discriminations relève désormais la tête.

Lan, née de sexe masculin mais s’identifiant comme femme, a passé des années en étau entre deux identités, « une torture » dans ce pays selon elle. Native de Shanghai, Lan, qui a demandé à ne pas être nommée en entier, a longtemps donné le change à sa famille et à ses amis par des attitudes ostensiblement machistes. En dépression, elle a toutefois finalement recouru en 2015 à une opération chirurgicale pour changer de sexe. « J’étais perpétuellement déchirée entre deux voix », relate la jeune femme de 31 ans, à l’allure impeccable dans sa blouse bleue, sa chevelure auburn tombant sur les épaules. « J’étais solitaire, désemparée, désespérée. Maintenant, je vis un rêve! », s’exclame-t-elle.

La pression sociale et familiale contraint souvent les Chinois transgenres à réprimer leur identité, mais ils sont de plus en plus à s’affirmer, avec la formation d’associations défendant leurs droits et un nombre croissant d’opérations chirurgicales. A la fin des années 1990, le chirurgien Zhao Yede ne réalisait qu’entre 20 et 30 opérations de changement de sexe par an: il en supervise désormais environ 200, et attribue volontiers cet essor aux communautés transgenres florissant sur internet, qui encouragent à franchir le pas. « Mes patients sont clairement plus jeunes. On voyait des patients de 27 ou 30 ans. Désormais, beaucoup ont 20 ans », dit-il.

Les transgenres ne sont pas étrangers à la culture chinoise: les descriptions de femmes habillées en hommes abondent -telle l’héroïne Mulan en guerrier-, et des chanteurs masculins jouaient traditionnellement les rôles féminins sur les scènes d’opéra. Aujourd’hui, une poignée de transgenres sont devenus des célébrités de la télévision.

Une discrimination sociale dans la famille et au travail

On estime qu’environ 0,6% des Américains s’identifient comme transgenres. En Chine, où les chiffres font défaut, ce ratio équivaudrait à 8 millions de personnes. Mais à défaut de persécutions haineuses, les transgenres pâtissent en Chine de profondes incompréhensions, du rejet de leurs proches, de discriminations routinières. Selon une enquête de l’ONG Centre LGBT de Pékin, 62% des transgenres chinois souffrent de dépression, la moitié a envisagé de mettre fin à ses jours et 13% ont fait des tentatives de suicide.

L’opposition est forte au sein des familles, où les garçons, choyés, sont censés perpétuer la lignée: les transgenres souffrent souvent de violences, physiques et psychologiques, dans leur propre foyer, insiste Zhuo Huichen, une femme de 25 ans. Les forces de l’ordre les minimisent en « querelles familiales », mais « des parents assassinent parfois leurs enfants », s’alarme celle qui n’a pas elle-même révélé son changement de genre à ses parents.

La jeune femme, maquillée et dont la longue chevelure dépasse de la casquette, a fondé en 2016 le Trans-center de Canton (sud), l’une des premières ONG chinoises consacrées aux transgenres. Elle recense un nombre croissant de jeunes mineurs en difficulté et de suicides. Pour les transsexuels, ayant déjà effectué leur opération de changement de sexe, modifier les papiers d’identité est un parcours du combattant, sans compter les discriminations endémiques dans l’enseignement ou l’entreprise.

Selon le Centre LGBT de Pékin, le chômage est trois fois plus important parmi les transgenres que dans le reste de la population. Dans un cas rare au tribunal, un transgenre appelé « Monsieur C. » a obtenu justice l’an dernier contre la firme de soins de santé du sud de la Chine qui l’avait licencié en 2015 en raison de son identité. « Les protections légales vont s’améliorer, mais le chemin reste long », confie le jeune homme né de sexe féminin.

« Nous progressons, mais cela doit se faire petit à petit »

Les transgenres chinois sortent de l’ombre au moment même où le Parti communiste au pouvoir renforce sa répression des militants des droits civiques et sa censure des contenus internet jugés « déviants » par rapport à la ligne morale officielle. Les événements LGBT sont souvent annulés. Pour autant, Zhuo Huichen s’attache à quelques avancées: l’an dernier, des recommandations gouvernementales enjoignaient ainsi de ne plus qualifier les transgenres de « malades ».

La Shanghai Pride, mini-événement célébrant de façon feutrée son 10e anniversaire, a tenu un « forum trans » le 2 juin, doublé d’un défilé de mode -que les autorités ont laissé se dérouler. « Je ne pensais pas voir cela un jour », s’émerveille Lan. Elle s’estime chanceuse: initialement scandalisé, son père a fini par la soutenir, l’accompagnant en Thaïlande pour l’opération à 18 000 dollars qui l’a transformée. Aujourd’hui apprentie-comptable, elle s’inquiète de documents administratifs précisant son identité « masculine » originelle, qui pourraient la trahir auprès d’employeurs potentiels.

Tombée amoureuse de son meilleur ami, Lan projette également de l’épouser et de recourir à une mère porteuse pour élever un enfant avec lui. Mais ses futurs beaux-parents ignorent son changement de sexe. « Nous, les transgenres, nous progressons, mais cela doit se faire petit à petit », sourit Lan.

Le Quotidien/AFP