Il a fait émerger quantité de jeunes cinéastes et son nom reste indissociable de Raul Ruiz et Manoel de Oliveira, mais le prolifique producteur Paulo Branco collectionne aussi les inimitiés, comme en témoigne son conflit avec Terry Gilliam.
Le différend entre le Portugais de 68 ans et l’ancien Monty Python sur les droits du film L’homme qui tua Don Quichotte connaîtra vendredi un nouveau développement avec le jugement que doit rendre la Cour d’appel de Paris. Installé entre le Portugal et la France, où il a débuté sa carrière en 1979 avec une œuvre de Marguerite Duras, Paulo Branco est « le roi des producteurs indépendants, le flibustier number one du métier », a écrit le sélectionneur du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, dans son livre Sélection officielle. « C’est le seul pirate du cinéma européen, le meilleur et le plus merveilleux. Les pirates ont deux facettes, mais moi je ne parle pas du côté sombre car je ne suis pas comptable », notait le metteur en scène allemand Werner Schroeter en 2007.
« C’est tellement rare dans le cinéma, quelqu’un qui a le désir du cinéma. Alors ce désir est tellement fort qu’il s’affranchit de l’argent », déclarait récemment le réalisateur français Christophe Honoré, en soulignant que le producteur « est quand même quelqu’un qui est du côté des cinéastes ». « Il a les défauts de ses qualités. C’est un aventurier, qui parie sur ce qui lui plaît », abonde le doyen des producteurs portugais, Antonio da Cunha Telles. Ces témoignages résument l’empreinte laissée par Paulo Branco et sa société Alfama : à la fois encensé pour sa contribution à la création cinématographique européenne, et portugaise en particulier, et critiqué pour son imprudence financière.
Paris, poker et roulette pour financer les films
« L’important est à l’écran » et le reste ce sont de « petites histoires », s’est un jour défendu le producteur à l’épaisse moustache, en disant puiser son énergie dans « le plaisir de croire en un projet, souvent envers et contre tout », selon des propos cités par le journal portugais Publico. Né à Lisbonne en 1950, Paulo Branco a fréquenté une célèbre école jésuite de la capitale portugaise dont il est sorti « athée convaincu ». A 21 ans, alors qu’il était sur le point de terminer ses études de chimie, le jeune homme a quitté son pays, en pleine dictature, pour s’installer à Londres, puis à Paris. C’est en France qu’il s’est lancé dans le cinéma en travaillant avec Frédéric Mitterrand au cinéma Olympic puis en gérant la salle Action-République.
Depuis, il a produit quelque 270 films signés par des auteurs comme David Cronenberg, Wim Wenders, Alain Tanner et Raoul Ruiz. Il a également beaucoup contribué au succès obtenu auprès de la critique internationale par des réalisateurs portugais comme Manoel de Oliveira ou Joao César Monteiro. Pour financer des films, cet amateur de risques, qui a vu plusieurs de ses sociétés faire faillite, n’hésite pas à investir ses gains au poker ou à la roulette.
Passionné par les courses d’endurance à cheval, Paulo Branco a en parallèle fait des investissements hasardeux dans un réseau de salles de cinéma au Portugal. « Les salles auront scellé sa fin, même si cela a pris 20 ans. L’argent qu’il prenait dans le budget d’un film pour lancer d’autres productions a commencé à disparaître dans un trou sans fond de dettes », a expliqué un réalisateur portugais, qui a préféré rester anonyme. « Ce qu’il a fait à Terry Gilliam, il me l’a fait plusieurs fois », a-t-il affirmé. « Il promet monts et merveilles et, au final, on est obligé de faire le film à ses conditions à lui. C’est-à-dire avec rien du tout. »
Le Quotidien/AFP