Sans illusion sur un revirement du gouvernement avant l’échéance annoncée du 1er juillet, les opposants à la limitation à 80 km/h des routes secondaires continuent de dénoncer un « passage en force » pour imposer une mesure « impopulaire, injuste et inefficace ».
Le décret d’application abaissant la vitesse maximale autorisée sur 400 000 kilomètres de routes secondaires à double sens sans séparateur central (muret, glissière), mesure destinée à lutter contre la mortalité, n’a pas encore été publié au Journal officiel. « Même si l’application n’est pas signée, la mesure est en réalité promulguée depuis son annonce le 9 janvier. On sait depuis ce jour-là qu’on risque de la prendre dans le nez, sans consultation des spécialistes, des instances compétentes ou du peuple », déplore le porte-parole de la Fédération française des motards en colère (FFMC), Didier Renoux. « Le 1er juillet va entériner ce qu’on sait depuis longtemps: le gouvernement a décidé de passer en force, comme il l’a fait sur beaucoup d’autres sujets », ajoute-t-il.
Depuis janvier, motards et automobilistes ont multiplié les manifestations et les pétitions contre une mesure « impopulaire, injuste et inefficace », résume le délégué général de l’association 40 millions d’automobilistes, Pierre Chasseray. « C’est une réforme parisianiste, sans écoute des gens concernés, une posture politique », estime-t-il. Outre une efficacité sur la mortalité routière qu’ils contestent, les opposants estiment qu’elle pénalise les territoires ruraux enclavés, où se trouvent l’essentiel des routes concernées et où la voiture est un moyen de déplacement indispensable.
Divisions jusqu’au sein du gouvernement
La fronde a gagné les rangs de l’Assemblée et du Sénat, y compris ceux de la majorité, et divise jusqu’au gouvernement. Si le Premier ministre Edouard Philippe reste ferme, « prêt à assumer » l’impopularité d’une disposition qui pourrait sauver selon lui jusqu’à 400 vies par an, certains ministres cachent à peine leur désaccord. Le 17 mai, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb a invoqué un « joker » lorsqu’un élu l’a interpellé publiquement sur le sujet. Avant lui, le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, avait estimé qu’il fallait « tenir compte de la réalité des territoires ».
En avril, 76% des Français se déclaraient opposés à cette mesure. Dans un sondage la semaine dernière, le « 80 km/h » apparaissait comme la mesure cristallisant le plus de mécontentement (49%) en un an de présidence Macron, derrière la hausse de la CSG (57%). Préoccupés par la colère de leurs administrés, des sénateurs ont créé fin janvier un groupe de travail sur le sujet, qui remettra officiellement ses conclusions jeudi à Matignon.
Plutôt qu’une mesure « uniforme », il prône une « réduction décentralisée et ciblée de la vitesse » sur des routes sélectionnées dans chaque département selon leur dangerosité. « On a peu d’espoir que les choses bougent », concède un des rapporteurs, le sénateur Michel Raison (LR): « Mais nous allons aussi rappeler qu’on nous a traités de manière méprisante, infantilisante ».
Retirer la mesure si elle ne donne pas les résultats
Le gouvernement a annoncé qu’il évaluerait la mesure au 1er juillet 2020, quitte à la retirer si elle ne donnait pas les résultats escomptés. « On ne va pas attendre deux ans. Si elle est si efficace, elle produira un effet instantané, donc on va voir si on a 400 morts en moins l’an prochain », prévient Pierre Chasseray. Pour lui, la mesure est par ailleurs « inapplicable », un grand nombre des 20 000 panneaux de signalisation à changer n’étant toujours pas installés.
Certains partisans de la mesure redoutent que des présidents de conseils départementaux anti-80 km/h fassent de l’obstruction en rechignant à les changer. « En tant que parlementaire, je mènerai le combat jusqu’au bout mais une fois le décret promulgué, je n’inciterai jamais les gens à ne pas le respecter », assure Michel Raison. « Rien ne permet de penser qu’une fois le décret paru, les départements ne se montreront pas républicains », assure le Délégué interministériel à la sécurité routière, Emmanuel Barbe. Et, rappelle-t-il, « si des collectivités prennent du retard, elles peuvent bâcher les panneaux » à 90 km/h, le 80 km/h devenant la vitesse par défaut.
Le Quotidien/AFP