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Grande-Région : le risque d’engorgement


Bascharage est sur la route des frontaliers de Longwy et d'Aubange. Une aspiration inéluctable ? (Photo Tania Feller).

Le cap des 200 000 frontaliers se rendant chaque jour au Luxembourg sera atteint l’an prochain. La question de la mobilité, débattue à Belval jeudi, devient donc urgente.

Chaque jour on compte, entre autres, «88 000 frontaliers issus de la Lorraine, 42 000 de la Wallonie et 32 500 de la Rhénanie-Palatinat qui se dirigent vers le Luxembourg,» constate Jeanne Ruffing, de l’Observatoire interrégional du marché de l’emploi. En d’autres termes, le Luxembourg capte à lui seul les trois quarts des frontaliers de la Grande Région.
Aussi, à la question «La mobilité transfrontalière des travailleurs est-elle une ressource pour la Grande Région?» posée hier, Nicolas Schmit ne peut que répondre par l’affirmative, en donnant l’exemple de son pays. «Bien sûr. Sans ces salariés non-résidents, l’économie, la croissance ou encore le système social luxembourgeois ne seraient pas ce qu’ils sont», admet le ministre luxembourgeois du Travail.
D’autant que «la conjoncture est bonne», note Christian Jochem, du réseau EURES (un réseau de coopération formé par les services publics européens de l’emploi) : «Les marchés de l’emploi lorrain, sarrois ou encore de la Rhénanie-Palatinat connaissent un nouvel essor. Sur toute la Grande Région, on voit la volonté des entreprises d’embaucher. Il y a une grande demande dans le domaine de la construction, des ingénieurs et pour les professions de la surveillance, de l’infrastructure…»

Chaque jour, 31 frontaliers de plus!
Mais comme le rappelle l’universitaire Rachid Belkacem, qui animait hier ce forum, cette mobilité transfrontalière n’est pas que source de richesses : «Elle peut aussi être source de problèmes. À commencer par les bouchons.»
En témoigne ce chiffre donné par Olivier Klein, du Luxembourg Institute of Socio-Economic Research : «En 2017, 14 000 emplois ont été créés au Luxembourg, dont 7 700 étaient occupés par des frontaliers. Cela veut dire que chaque jour se rajoutent 31 travailleurs frontaliers sur le réseau luxembourgeois, contribuant à sa congestion.»
Le résidentiel aussi paie le prix fort : «On a une densification dans les villes frontalières, mais aussi dans le périurbain et les villages, ce qui pose des problèmes en termes de moyens de transport.»

Des horaires à rallonge 
Parlons aussi du quotidien des frontaliers : ««Le mode de transport privilégié reste la voiture, avec des distances plutôt classiques, entre 30 et 40 km. Par contre, les temps de parcours sont très longs, près d’une heure en moyenne pour un trajet domicile-travail. Donc beaucoup partent très tôt de leur domicile. Plus de la moitié des frontaliers partent déjà avant 7 h pour rejoindre le Luxembourg en temps et en heure.» Et pour ceux qui prennent les transports publics, 80 % d’entre eux doivent quitter leur domicile entre 6 h et 8 h.
Autre constat, l’heure de pointe, que ce soit matin ou soir, était auparavant assez concentrée, sur deux heures de temps. Aujourd’hui, elle s’étire, «jusqu’à 5 h, avec pour le retour des bouchons qui débutent dès 15 h 30, jusqu’à 20 h.»
Tout ceci a un impact sur la vie des frontaliers. La moitié d’entre eux sont tellement contraints par leur temps de déplacement qu’ils n’ont pas d’autres activités journalières qu’aller au travail. «22 % arrivent quand même à avoir des activités, mais proches de leur résidence. Et un quart tout de même font des activités de part et d’autre de la frontière.»

Nicolas Schmit enfin aussi plusieurs chantiers en retard dans la Grande Région, comme le retard au niveau des infrastructures de transport. Tout comme le fait que «la Grande Région n’existe pas au niveau du télétravail, à cause de limites fiscales, de la sécurité sociale.» Il y a aussi des efforts à fournir «au niveau de la formation» et «la coopération transfrontalière est encore marginale».

Romain Van Dyck

Ces Luxembourgeois qui s’installent ailleurs

À noter aussi qu’une part grandissante des frontaliers sont des personnes qui quittent leur pays d’origine et de travail pour aller habiter de l’autre côté de la frontière : par exemple des Luxembourgeois découragés par les prix élevés de l’immobilier dans leur pays, ou des Sarrois qui viennent en France pour une question de qualité de vie. Un flux qu’il est important de rappeler à certains populistes qui voient dans la mobilité transfrontalière un «envahissement» à sens unique…Selon les derniers chiffres du Statec, les Luxembourgeois « exilés » derrière la frontière seraient plus de 8 000.