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Reportage – Face à la violence des gangs, l’Amérique centrale envoie ses troupes


Des membres de la mara Barrio 18 arrêtés lors d'une opération de police à San Salvador, le 12 mai 2015. (Photo : AFP)

Il est minuit, les policiers fouillent maison après maison le quartier d’Alta Vista, à San Salvador, illustrant la manière forte appliquée depuis plusieurs mois face aux gangs au Salvador, Guatemala et Honduras, dans la région la plus violente au monde hors zones de conflit.

Dans l’est de la capitale salvadorienne, Alta Vista vit dans la terreur de ses bandes criminelles, les maras Barrio 18 et Salvatrucha.

«Voir, écouter et se taire»: telle est la règle répétée sous forme de graffitis sur les murs du quartier, face aux gangs qui trafiquent, extorquent et tuent, quand ils n’occupent pas les maisons laissées vides par les habitants qui ont fui.

La même terreur règne au Honduras et au Guatemala, deux pays vivant eux aussi sous l’emprise de ces bandes ultraviolentes.

Entre 2009 et 2013, 99.408 homicides ont été commis en Amérique centrale, dont «les quatre cinquièmes» au Guatemala, au Salvador et au Honduras, selon des chiffres du Système d’intégration centro-américaine (Sica).

Avec en moyenne 51,8 homicides pour 100.000 habitants en 2014, selon le Progamme des Nations unies pour le développement (Pnud), le Salvador, le Guatemala et le Honduras forment le redoutable «Triangle Nord» de l’Amérique centrale.

Ces derniers mois, les pays du «Triangle» ont fait le choix d’une dure stratégie militaire face à cette armée de 100.000 «pandilleros», terme qui désigne les membres de ces gangs.

Le Guatemala a déployé 4.500 militaires en renfort des 35.000 policiers déjà présents. Le Salvador, 7.000 soldats et 23.000 policiers. Le Honduras s’appuie lui sur un effectif de 2.000 militaires et 3.500 officiers de la nouvelle police militaire.

Mais cette stratégie frontale comporte des dangers, selon plusieurs experts.

«La manière forte, avec le recours à la force militaire, va radicaliser ce conflit social», met en garde la sociologue Jannet Aguilar, de l’Université Centroaméricaine (UCA) de San Salvador.

«On est en train de créer un climat assez dangereux», ajoute-t-elle.

« Permis de tuer »

Au Salvador, où les gangs ont tué 24 policiers et six militaires depuis le début de l’année, le gouvernement a créé quatre bataillons d’élite, composés de policiers et militaires.

Il les a encouragés à utiliser leurs armes si besoin, un véritable «permis de tuer» selon Jannet Aguilar.

Au Guatemala, le programme antigang PANDA a permis de former les policiers et procureurs, explique le vice-ministre de l’Intérieur, Edi Juarez, et de constituer des unités pour surveiller les déplacements les maras.

«Ces unités sont désormais des centres d’analyse qui suivent le modus operandi des gangs de manière permanente», explique M. Suarez.

Au Honduras, le président Juan Orlando Hernandez a créé une police militaire de 3.500 hommes pour affronter les bandes criminelles.

Ces stratégies offensives répondent à un regain d’activité des maras, qui brûlent des autobus, détruisent des magasins, torturent et tuent pour toucher le fameux «impôt de guerre».

Pour l’analyste guatémaltèque Jorge Santos, du Centre international d’investigations sur les droits de l’homme, la politique répressive annule les efforts de prévention.

«Toutes ces politiques préventives pour offrir des opportunités aux jeunes, l’accès à des droits fondamentaux comme l’éducation et la santé, sont toujours brisées par la politique de remplissage des prisons», regrette-t-il.

M. Santos souligne «les taux élevés d’inégalité et de pauvreté» en Amérique centrale, où près de 40% de ses 46 millions d’habitants vivent dans la pauvreté, constituant un véritable «bouillon de culture» pour les gangs.

Les prisons du Salvador compte dans leurs murs 12.851 membres de gangs, alors qu’ils sont 1.467 au Guatemala et près d’un millier au Honduras. Mais ils continuent souvent leur activité criminelle derrière les barreaux, reconnaissent les autorités.

Et tandis que les bandes ne cessent de se multiplier, leurs recrutements se font de plus en plus «par la force», remarque Itsmania Pineda, militante des droits de l’homme au Honduras, obligeant de nombreux mineurs à fuire et risquer leur vie en tentant d’émigrer illégalement aux Etats-Unis.

AFP