Quelle soirée inattendue. Samedi, une vingtaine d’Indiens de Bolivie ont investi l’église Saint-Martin D’Hayange pour un concert « entre deux mondes » : la musique de la Renaissance, importée par les Jésuites en Amérique Latine au XVIIe siècle, et revisitée avec une saveur incomparable. Un moment hors du temps.
« Nous ne sommes pas une réserve d’indiens », avait lancé le député de la Fensch Michel Liebgott, en 2012, lors de la crise de la sidérurgie. Une réponse sèche à la fascination des médias pour la vallée. Il faut croire que si, au moins samedi soir ! L’Ensemble Moxos, débarqué tout droit de Bolivie, était invité par les Amis de l’orgue. Sur le papier, une invitation comme une autre. Mais un passionné nous avait assuré : « il faut venir voir ça, c’est incroyable ».
« Nous venons d’un petit village de l’Amazonie »…
Nous voici lancé sur la route d’Hayange : ses haut-fourneaux -totems indéboulonnables-, la lumière dans les cafés, un charme désuet mais un charme quand même, quoiqu’en disent les mauvaises langues. Et puis, cette église Saint-Martin, qui ressemble à un bout d’Italie avec ses peintures à même les murs. Très latine, mais pas autant que les invités du soir.
« Nous venons de San Ignacio De Moxos, annonce en espagnole la chef d’orchestre. Un petit village de l’Amazonie bolivienne, entouré de jungle, de pampas, de fleuve et de lagune ». Pour bien comprendre le voyage qui nous attend, les Indiens ont choisi de « rejouer » un temps fort que l’on connaît bien : Pâques et la Semaine sainte. À première vue, personne n’a envie de revivre la Semaine Sainte un samedi soir. Mais ce marqueur permet de comprendre la réappropriation culturelle que les Indiens des missions jésuites ont su façonner, par rapport à l’évangélisateur d’alors.
Car dès l’introduction, c’est un chant puissant qui accompagne les musiciens, arrivant du fond de l’église dans une marche déjà empreinte d’espoir (Pâques) malgré les rameaux. Puis, tout au long du concert, on alterne entre le recueillement profond -avec la ferveur de l’Amérique latine- et la jouissance d’un événement libérateur.
Au fond, ce que l’ensemble Moxos chante, ce n’est pas la Passion comme la vive les Européens. Ce sont des Indiens qui regardent les Blancs crucifier leur Sauveur. Avec une tendresse et une compassion sans égale, que seule la musique peut exprimer.
Ce plaidoyer contre la violence d’une civilisation nouvelle trouve son point d’orgue dans un morceau intitulé « Dulce Jesùs mio », tiré des Archive de la Mission de Moxos, où le coeur semble souffler pour dire sa peine.
L’Ensemble Moxos a offert un concert brillant. C’est fascinant de voir comme les Jésuites, protecteurs des Indiens face à la barbarie des colons espagnols, ont su lancer un pont vers la musique de l’Europe. « Les Jésuites envoûtèrent les indigènes avec leur musique », précise la chef d’orchestre Raquel Maldonado.
C’est fascinant de voir comment en retour, les Indiens ont su emprunter ce chemin, à leur manière, jouant tantôt des instruments européens (violon, flûte, violoncelle) avec virtuosité, tantôt des instruments dont on ignore tout… pour qu’au final, peu importe le sens de l’histoire, la beauté de la musique l’emporte.
Hubert Gamelon.