Il a 79 ans, mais à part ses cheveux blancs, une fois sur scène, rien ne trahit son âge. Michel Portal semble avoir toujours 30 ans aussi bien dans l’attitude, dans l’énergie et sa dextérité. Rencontre.
Vous êtes quasiment un habité du Luxembourg. Vous avez déjà joué dans trois des principales salles de jazz du pays : la Philharmonie, l’Abbaye de Neumünster et Opderschmelz, mais là c’est un cadre un peu différent, puisque c’est dans le cadre de Like A Jazz Machine. Ça change quelque chose quand on vient jouer dans un festival?
Michel Portal : Je suis très sensible à l’environnement, à la salle. Quand je joue dans un lieu intimiste, je ne joue pas de la même manière que quand je joue dans une grande salle. C’est peut-être l’influence du classique, où un jour on joue un concerto de Mozart et le lendemain, peut-être, un petit concert de chambre. Je suis très influencé par tout ce que j’ai fait dans le classique, plus que par le jazz d’ailleurs. J’y suis plus sensible. Mais le fait que ce soit un festival, ça non ça ne change rien pour moi. Je sais très bien où je veux aller, avec le trio on connait notre répertoire, ce qu’on a à faire; le fait qu’il y ait d’autres musiques avant ou après, je ne vois pas du tout ça comme un concours. C’est bien pour le public, ça oui, comme ça il entend différents groupes et styles, mais pour moi, non. On ne va pas se mettre à s’imiter. Les styles sont trop différents. Après, tout concert est important. Je suis quelqu’un qui aime s’investir pleinement à chaque fois.
Vous ne revenez pas avec un de vos acolytes habituels – Bojan Z, Richard Galliano ou encore Jacky Terrason –, mais avec deux musiciens qui ont la trentaine, c’est-à-dire près de 50 ans moins que vous. Comment est née cette nouvelle aventure?
C’est toujours délicat de parler de ça car les gens pensent que parce qu’on a de l’expérience, on devient plus respectable. Et avec ça, qu’on veut faire moins de choses ou qu’on peut faire moins de concerts. Alors qu’il n’y a pas d’âge pour la musique. Si on m’appelle demain pour me proposer un duo avec un jeune de 15 ans qui joue très bien du piano, je suis partant! Je ne vais penser ni à mon âge, ni au sien, mais juste à la musique. Que Peirani et Parisien, qui sont deux très grands musiciens, aient envie de jouer avec moi, je suis ravi. J’accepte, d’autant qu’à mon âge je pourrais tout aussi bien me retrouver tout seul chez moi sans aucun écho. Et puis j’ai beaucoup d’admiration pour eux deux. D’ailleurs, le courant est passé tout de suite entre nous. C’est un trio sans leader où chacun sait parfaitement ce qu’il a à faire, ce qu’il peut apporter à l’ensemble et ce que les autres apportent aussi. On prend donc beaucoup de plaisir à jouer ensemble. Ils ont une vraie force; une force qui correspond à leur époque. Et moi, je mets juste un peu de pétrole par-ci par-là.
Vous n’aimez pas qu’on vous traite comme un vieux sage.
Non, pas du tout. J’ai toujours été un peu rebelle. Je suis le même qui en 68 avait les cheveux longs, était enragé et jouait des choses pas possibles et qui se faisait insulter pour ça. Et pourtant maintenant on fait attention à moi, on est prudent face à moi, ce qui fait aussi qu’on ne s’investit pas comme je le faisais moi à 30 ans… C’est-à-dire que la musique a beaucoup changé, elle s’est clairement assagie. Je ne veux pas dire qu’on va vers du plus commercial pour vendre des disques, mais… si je refaisais aujourd’hui un disque d’une violence similaire à celle de certains de mes anciens disques, je pense que je n’en vendrais pas beaucoup. Avant on ne se posait pas la question de savoir si on allait travailler le lendemain, si c’était bien ce qu’on faisait, etc… c’était un jet! Et les gens étaient réceptifs à ça. Aujourd’hui je me pose des questions autour de tout. Beaucoup de questions.
Vous n’êtes donc pas très optimiste pour le jazz de demain?
Ce n’est pas ça. Les artistes sont les mêmes. Aujourd’hui ils ont un très très grand niveau instrumentalement, tout le temps! Mais tout est plus calculé. Ce n’est plus aussi instantané. Ce ne sont plus des improvisations à mort comme autrefois. Là on est plus dans la composition, dans des choses plus structurées. Et la musique qui passe à la radio, ça doit presque être du divertissement. Alors que moi j’ai été touché par des gens comme Sonny Rollins que j’ai vu sur scène, seul, pendant deux heures et demi avec un béret à la Che Guevara et son saxophone ténor. Il nous a balancé des trucs qui étaient une espèce de raz-de-marée incroyable! Wow! Il n’y a plus des cris comme ça. Des combats comme ceux-là. Tout ça pour dire que, moi, je ne sais pas très bien où j’en suis, mais je continue, et me dis « fais ce que t’es, merde, et pour le reste tant pis!“
Vous jouez la clarinette, le saxophone et le bandonéon. Quelle relation vous entretenez avec chacun de ses tris instruments ?
Bonne question… Moi, c’est clair, je me sens clarinettiste. Principalement parce que je continue ma carrière dans la musique classique et dans la musique contemporaine. Là, je vais d’ailleurs bientôt rejouer un concerto de Mozart et les thèmes juifs de Prokofiev. Comparé à ça, je ne joue pas beaucoup de saxophone ou le bandonéon. J’aime beaucoup ces deux instruments, mais c’est vraiment la clarinette mon instrument premier. Les instruments, ce sont des rencontres qu’on fait dans la vie. Un peu comme les amis.
Comme vous êtes venus souvent, connaissez-vous la scène jazz luxembourgeoise? Et qu’en pensez-vous?
(silence)… citez-moi un musicien important de la scène luxembourgeoise de jazz.
Gast Waltzing… Pascal Schumacher…
Ah oui, je connais Schumacher. Il joue du vibraphone. C’est un musicien très intéressant, on avait d’ailleurs failli faire quelque chose ensemble en Italie, mais finalement ça ne s’est pas fait. Je ne sais pas pourquoi. Mais c’est difficile, quand on habite Paris, d’avoir des connexions avec un musicien belge, luxembourgeois ou d’ailleurs.
Propos recueillis par Pablo Chimienti
Le programme de Lika a Jazz Machine
Entre Dudelange et le jazz, l’histoire d’amour dure depuis 25 ans. C’est donc sans surprise qu’y soit né, en 2012, le festival Like a Jazz Machine, un rejeton plein d’énergie «jazzy». Depuis sa création, l’évènement mêle passé et présent, grandes figures du jazz et jeunes artistes, musiciens d’ici et d’ailleurs. 17 groupes, 78 musiciens et 4 jours de musique et de rencontres, voilà les chiffres d’un rendez-vous qui ne cesse de grandir et de confirmer son statut de festival de qualité. La chaîne ARTE ne s’y trompe pas et suivra les concerts.
VENDREDI
18 h Michel Reis Paris 4tet
19 h 10 Phronesis
20 h 30 Rabih Abou-Khalil Trio
21 h 50 Kyle Eastwood
23 h 10 Pol Belardi’s Urban Voyage
SAMEDI
18 h Organic Trio
19 h 10 Dauner & Dauner
20 h 30 Franco Ambrosetti 6tet
21 h 50 Pascal Schumacher
23 h 10 Wayne Krantz Trio
DIMANCHE
20 h Maceo Parker
Opderschmelz – Dudelange.
Ticket : 30 euros (par jour).
75 euros (pass).
www.jazzmachine.lu