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Fleuristes : une filière en voie de disparition au Luxembourg


Certains élèves ont réussi à trouver du travail, mais il leur a fallu batailler dur. (photo Jean-Claude Ernst)

Le directeur du lycée technique agricole d’Ettelbruck, Tom Delles, est inquiet pour la filière horticole. Les jeunes, ne trouvant pas de places d’apprentissage en entreprise, désertent l’école.

La classe de dernière année dans la filière horticole semble désertée. Pouvez-vous l’expliquer ?

Tom Delles : Oui. Notre dernière année est composée de quatre élèves. Et chaque année, ce chiffre oscille entre deux et six. Ce qui est très peu. Nous avons peur que la filière ne finisse par disparaître. Et ça risque d’être le cas dans quelques années !

À quoi est-ce dû ?

Il y a deux raisons à cela. Il y a un d’un côté un réel problème économique vécu par les entreprises. Beaucoup de nouveaux diplômés ouvrent leur boutique… et ferment, parce qu’ils n’ont pas de clientèle. Aujourd’hui, on trouve des bouquets de fleurs dans toutes les stations-service, les centres commerciaux. Certains de ces commerces n’embauchent pas de fleuristes, mais commandent des bouquets préparés. C’est forcément moins cher. Donc, la plupart des gens n’achètent plus chez les fleuristes. C’est une réalité. Les entreprises expliquent qu’elles ne peuvent pas se permettre d’embaucher un apprenti, cela leur coûterait trop cher. Certains nous ont aussi dit que c’était une perte de temps pour eux. Les étudiants qui commencent en première année n’ont pas assez d’expérience. Cela peut être encombrant de les former.

Concrètement, combien ça coûte à une entreprise de former un apprenti ?

Il y a une indemnité d’apprentissage d’environ 500 euros par mois, et les charges patronales à payer, mais le Fonds pour l’emploi effectue un remboursement de 27% de l’indemnité d’apprentissage. Le même Fonds rembourse aussi la part patronale des charges sociales se rapportant à l’indemnité d’apprentissage versée à l’apprenti.

Donc ce n’est pas vraiment un salaire…

Effectivement, on est très loin du salaire social minimum (il rit), mais ce qui pose le plus problème aux entreprises, je pense, c’est vraiment que les apprentis sont jeunes et totalement inexpérimentés. Ils pensent qu’il y a trop de paperasse à remplir, que ça les encombre trop.

Pourtant, il y a des offres d’emploi dans ce secteur !

Oui, mais ils recherchent des professionnels expérimentés. Et lorsqu’ils ne les trouvent pas au Luxembourg, ils prennent des frontaliers.

Comment faites-vous pour tenir le cap ? Pour éviter la disparition de la filière ?

Nous avons conclu un accord avec le ministère de l’Éducation nationale. Chaque année, si nous arrivons à avoir trois étudiants avec un contrat d’apprentissage, le ministère autorise le lycée technique agricole à embaucher deux ou trois autres étudiants. Nous faisons notre possible pour ne pas fermer la classe, et en cela, le ministère nous aide. Cependant, si nous étions confrontés à une situation dans laquelle aucun de nos étudiants ne trouvait d’entreprise, alors nous serions contraints de la fermer. C’est désolant, et pour tout vous dire, ça nous fait très mal au cœur.

Quelle pourrait-être la solution miracle selon vous ?

(Il rit) Je pense qu’elle n’existe pas. Mais il faut espérer un renouveau dans la profession, une amélioration des conditions économiques. Peut-être faut-il que les nouveaux fleuristes trouvent des solutions pour continuer à exister. Des idées novatrices peuvent peut-être aider. Nous en parlons à nos étudiants. Nous leur parlons de spécialisation, dans les mariages ou tous types d’événements. Je pense qu’il existe plein de façons de sauver les fleuristes, mais ce qui est sûr, c’est que pour sauver la profession, il faut d’abord et avant tout sauver la formation. En cela, les fleuristes eux-mêmes peuvent sauver le métier. En transmettant leur savoir…

Entretien avec Sarah Melis

Samedi de 9h30 à 14h, le lycée (72 avenue Lucien-Salentiny) ouvrira ses portes aux étudiants souhaitant se renseigner sur les formations proposées.

Celles et ceux qui ont réussi : « J’ai appelé chaque fleuriste du pays… »

Il aura fallu se battre pour y arriver. Mais c’est possible, si l’on en croit l’expérience de Shana, Ben, Sandy et Kathlyn, tous les quatre apprentis.

Shana, 19 ans, est en deuxième année d’apprentissage à Cactus Howald. Son histoire est plutôt rassurante. «Bien sûr, j’ai dû convaincre, dit-elle, mais je pense pouvoir dire que j’ai la chance d’avoir été embauchée rapidement, contrairement à la plupart de mes amies. Cactus est un centre commercial qui dispose d’un rayon fleurs, donc je fais exactement le même travail, j’apprends les mêmes choses que si j’avais été dans une petite structure. Et c’est magnifique parce que j’adore mon travail, j’ai vraiment trouvé ma voie et je ne voudrais rien faire d’autre !»

Ben, 26 ans, a pris le taureau par les cornes. Il a «feuilleté les pages jaunes, appelé chaque fleuriste du pays avant de trouver celui qui (l’a) embauché, au Limpertsberg. Je me suis acharné, car 90% des employeurs ne veulent pas d’apprentis dans ce domaine ! J’ai su convaincre et je ne le regrette pas.»

Sandy, 20 ans, a elle eu droit à 25 réponses négatives avant d’entrer en apprentissage à Mersch. Elle avait pourtant cherché dans tout le pays, quitte à rencontrer des difficultés pour se rendre sur son lieu d’apprentissage. «C’était ma dernière chance de trouver un contrat. Ça a été difficile, mais j’ai fini par y arriver», explique-t-elle.

Et convaincre, se battre, c’est aussi ce qu’a dû faire Kathlyn, 23 ans. Elle raconte : «J’ai été sincère avec les employeurs, j’ai tout fait pour leur montrer que j’étais motivée et déterminée à faire ce métier. Mais ça a parfois été compliqué. Il faut savoir que tous les fleuristes n’ont pas le droit de former des étudiants. Dans le secteur où j’habite, par exemple, à Echternach, aucun d’entre eux n’a pu m’embaucher pour cette raison. Il a donc fallu chercher ailleurs. J’ai fini par convaincre une boutique qui avait déjà un apprenti (NDLR : Ben), et ils ont ouvert un poste pour moi. Je pense que ce que l’on doit retenir de tout cela, c’est qu’il ne faut surtout pas baisser les bras.»

Propos recueillis par Sarah Melis