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Esthétique d’une dictature


Au MNHA et chez Arendt & Medernach, dans le cadre du Mois européen de la photographie, Andreas Mühe propose la série "Obersalzberg". Elle met en scène l'esthétisme nazi dans les Alpes bavaroises, là où résidait Adolf Hitler. (Photo : Andreas Mühe)

L’artiste allemand Andreas Mühe recrée l’esthétisme nazi dans les Alpes bavaroises à travers de superbes mises en scène.

Oui, il y a de quoi se sentir déboussolé devant la nouvelle programmation (la cinquième) du Mois européen de la photographie au Luxembourg, ne serait-ce que par le nombre de lieux concernés (22!). Ainsi, mieux vaut avoir l’œil affûté pour ne pas passer à côté des pépites proposées par la manifestation, perdues parfois au milieu d’écrasantes expositions collectives. C’est le cas de l’Allemand Andreas Mühe, 36 ans, célébré comme une star dans sa discipline.

Chouchou d’Angela Merkel (pour qui il a réalisé certaines affiches de campagne ainsi que de nombreux clichés, à la campagne comme à la Chancellerie) le photographe s’est aussi fait connaître pour avoir réuni sous le même objectif, en 2009, Helmut Kohl, George Bush et Mikhaïl Gorbatchev, à l’occasion du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin. On reste dans la thématique avec «Obersalzberg», série qui plonge un peu plus loin en arrière dans les traumatismes de l’Allemagne.

Au MNHA, comme chez Arendt & Medernach, Andreas Mühe dévoile de superbes œuvres grand format, illustrant les Alpes bavaroises, paysages occupés par des fantômes du passé, en l’occurrence des officiers nazis. En effet, l’Obersalzberg était la résidence d’été d’Adolf Hitler, où de nombreuses décisions concernant le Reich ont été prises. L’artiste marche ainsi sur les traces de Walter Frenz, qui contribua considérablement à l’image publique du régime.

À l’époque, sur ces clichés de propagande, on pouvait voir le «Führer», mais également son entourage (sa compagne Eva Braun, sa chienne Blondi…), des élites et des paysages environnants. Photos semi-privées, semi-publiques, elles appartiennent à ces images qui voulaient donner une vision sympathique de l’homme.

Andreas Mühe, lui, s’intéresse (dans tout son travail d’ailleurs) à la notion d’espace qui «détermine tout». Il y «réintègre» l’homme, ou l’y met à la bonne taille. «Voilà tout le sens de mon travail», explique-t-il.

Après avoir déjà abordé le cas du national-socialisme d’un point de vue esthétique dans un ouvrage précédent (ABC), le photographe remet le couvert avec «Obersalzberg», série réalisée sur deux ans (2011/12). Après avoir préalablement étudié les poses, les attitudes, la manière dont les nazis évoluent dans ce paysage idyllique et se l’approprient.

Des mises en scène qui parlent à l’artiste, dont les deux parents sont ici du monde du théâtre.

«Virtuosité technique»

Il s’interroge alors, en opérant leur reconstitution, sur les relations qu’entretiennent les soldats et officiers allemands avec cet espace naturel et sur la «nazification d’un paysage» – terme tiré du livre de l’exposition – qui reste marqué, ou pas, par leur passage.

Dans ces paysages, en effet, pas de visages. Seuls l’attitude et l’uniforme comptent. Bien sûr, dans son travail, le photographe reconnaît aussi se questionner «longuement» sur «l’esthétique du pouvoir». Si Walter Frenz n’a jamais eu l’envie (ni le temps) de faire poser ses modèles, Andreas Mühe, lui, s’applique à styliser ses protagonistes (joués par ses amis acteurs).

Il provoque cette ambiguïté du message qui, dans sa connotation historique, se décline en images fascinantes, ironiques et distanciées à la fois. Que dire ainsi de cet officier en train de pisser dans la neige devant un paysage grandiose, ou encore ceux privés de leurs vêtements, en somme, de tout ce qui fait leur force et leur menace.

Une nuance à laquelle s’ajoutent une qualité et une netteté saisissantes, le photographe s’appuyant sur une chambre grand format, permettant cette «virtuosité technique», comme le définit son mentor F.C. Gundlach. Des photographies au style romantique et ombrageux, qui, en outre, mettent en exergue la réalité contemporaine et cet entêtement à mettre de la théâtralité dans nos vies par la quête constante d’une représentation positive de soi. Mais Andreas Mühe préfère tempérer ses multiples interprétations pour aller à la racine : «Il s’agit toujours de paysage au final.»

Grégory Cimatti

Arendt & Medernach – Luxembourg. Jusqu’au 20 septembre / Musée national d’Histoire et d’Art – Luxembourg. Jusqu’au 13 septembre.

www.cafecreme-art.lu

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