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Les secrets dévoilés de John le Carré, maître du roman d’espionnage


Mais qui est vraiment John le Carré ? "Un menteur", de son propre aveu... (photo AFP)

Jamais entendu parler de David Cornwell ? Le nom de John le Carré est peut-être plus familier. Cornwell et le Carré ne font qu’un comme le révèle, entre autres choses, un Cahier de L’Herne dédié à l’auteur de « L’espion qui venait du froid ».

Ce cahier qui s’efforce de percer les mystères d’un homme complexe, sort en France alors que L’héritage des espions (Seuil), le 24e roman du grand écrivain britannique, est attendu jeudi en librairie.

« Si John le Carré est salué par tant d’écrivains comme l’un de leurs pairs, c’est bien parce qu’il ne se laisse pas enfermer dans un cadre univoque (…) Sur sa vie comme dans ses œuvres, il brouille constamment les pistes, il cultive le flou, il convoque les interprétations multiples », explique Isabelle Perrin (universitaire et traductrice de l’œuvre de le Carré en français), qui a dirigé ce Cahier de L’Herne.

Romancier, âgé de 86 ans, John le Carré (il tient au « l » minuscule de son pseudonyme) a également écrit une pièce de théâtre (Le bout du voyage) et des mémoires (Le tunnel aux pigeons, histoires de ma vie). « Et ce ne sont pas seulement des livres qu’il a signés de sa plume, mais plus d’une centaine de textes courts : contes, nouvelles, préfaces et même textes auto-fictionnels (…) mais aussi articles journalistiques, tribunes et billets d’humeur », précise Isabelle Perrin.

La revue Les Cahiers de L’Herne (280 pages, 33 euros) propose beaucoup de ces textes peu connus, la plupart inédits en français.

« Mon père était un escroc »

On y retrouvera un John le Carré engagé, critique virulent de la guerre en Irak, qui lui a valu le surnom de « vieil homme en colère ». Pour sa traductrice, le Carré est « une de ces voix qui comptent dans la société civile britannique, une conscience morale dont les valeurs humanistes parlent aux citoyens du monde entier ».

Autre idée reçue à balayer, John le Carré n’est pas l’archétype de l’écrivain « so british » qu’il semble être. Le romancier (qui a longtemps vécu en Suisse alémanique) voue « une véritable passion » à la langue allemande et à sa littérature qu’il appelle « sa muse ».

C’est pourquoi, explique Isabelle Perrin, le style de John le Carré avec son goût des phrases longues peut parfois dérouter les lecteurs anglophones.

Dans une note adressée aux commerciaux de son éditeur américain Knopf (reproduite dans Les Cahiers de L’Herne), John le Carré revient sur son enfance. « Je n’ai pas connu ma mère avant mes 21 ans. Je me donne des airs de gentleman alors que je suis merveilleusement mal né. Mon père était un escroc et un repris de justice »…

L’enfant qui a grandi dans une maison sans livre quitte son foyer pour suivre les cours de la très réputée Sherborne School avant d’aller étudier l’allemand et le français à l’université de Berne en Suisse, rejoindre Oxford, enseigner à Eton avant finalement de travailler pour le ministère britannique des Affaires étrangères. En poste à Hambourg en 1952, alors que la guerre froide fait rage entre l’Est et l’Ouest, il sera recruté par les services secrets britanniques.

« Je suis un menteur, né dans le mensonge »

Dans sa note à Knopf, le Carré met les choses au point. « Dans le temps, il était bien commode de m’étiqueter ‘espion devenu écrivain’, même si c’était totalement faux. Je suis un écrivain qui, dans sa prime jeunesse, a passé quelques années inefficaces mais très formatrices dans le renseignement britannique ».

Faut-il croire John le Carré sur parole ? « Je suis un menteur (…) né dans le mensonge, éduqué dans le mensonge, formé au mensonge par un service dont c’est la raison d’être, rompu au mensonge par mon métier d’écrivain », écrivait le romancier (pas forcément sincère) dans ses mémoires.

On retrouve dans les cahiers un texte de Bernard Pivot, initialement publié en 1990, dans lequel l’ancien animateur d’Apostrophes revient sur son émission avec John le Carré en 1989. « A la fin de l’émission, écrit Pivot, je lui ai demandé s’il avait fait une réponse mensongère. Oui, m’a-t-il avoué avec son accent enchanteur, une fois. Mais je ne vous dirai pas quand, parce que ce serait un deuxième mensonge ».

Le Quotidien/AFP