La pénurie de logements que connaît le Luxembourg n’est pas une fatalité. En France, Rennes a mis sur pied un choc de l’offre qui a permis à la métropole bretonne de passer de la 4e à la 14e place des villes les plus chères, en une une dizaine d’années.
Prélude : la crise du logement luxembourgeoise en chiffres
• 2 600 nouveaux logements sont créés chaque année en moyenne, contre une demande estimée à 6 500 par an.
• Des prix qui explosent : en dix ans, le prix moyen d’une maison a augmenté de plus de 50% selon l’Observatoire de l’habitat.
• Trop peu de logements abordables : le Fonds du logement a construit 19 unités en 2016. La société nationale des habitations à bon marché a triplé sa production de son côté, pour passer de 80 unité en 2014, à 272 en 2017. Cela reste très loin de satisfaire la demande!
• Du potentiel… au main des privés : 2 719 hectares sont constructibles, détenus à 75% par des particuliers.
Comment Rennes et son agglomération, 4e ville la plus chère de France en 2004, est parvenue à faire baisser les prix de l’immobilier pour passer à la 14e place?
Honoré Puil, vice-président de Rennes-Métropole : Au début des années 2000, en France, les prix de l’immobilier avaient beaucoup monté. Certains ménages avaient des difficultés à se loger. C’est pourquoi Rennes et son agglomération ont décidé de mener une politique du logement extrêmement active, avec l’intention de créer un choc de l’offre. En produisant un grand nombre de logements, nous avons fait baisser les prix. L’objectif a été atteint autour de 2015 et depuis, nous avons défini une nouvelle politique avec de nouveaux critères.
À quel rythme ces nouveaux logements ont-ils été créés?
Sur la première période, entre 2005 et 2015, nous avons mis sur le marché 37 500 logements dans la métropole rennaise qui regroupe 43 communes. Notre ambition reste élevée, puisque, entre 2015 et 2025, nous allons construire 24 000 logements de toute nature supplémentaires. Il le faut car le territoire de la métropole rennaise est attractif, nous accueillons entre 4 000 et 5 000 nouveaux habitants par an.
Quels ont été les moyens mis en œuvre pour construire autant?
Nous avons déployé toute une palette d’outils. Le premier consiste à travailler sur le foncier puisqu’il ne peut pas y avoir de production de logements sans terrains disponibles. À Rennes, cette tradition d’acquisition a débuté dès la fin de la Seconde Guerre mondiale et a toujours été développée depuis. L’objectif est de développer des zones d’aménagements concertés (ZAC), c’est-à-dire que la collectivité acquiert du foncier au fil du temps (maisons ou autres types de bâtiment) et lorsqu’une surface suffisante est atteinte, nous produisons des logements neufs. Nous pouvons également mettre des terrains en réserve dans le cadre d’une zone d’aménagement différé (ZAD), que l’on utilisera lorsque l’on en aura besoin.
Comment définissez-vous le type de logements qui seront bâtis sur ces terrains?
Le plan local d’urbanisme (PLU) instaure des secteurs de mixité sociale. Lorsqu’un promoteur privé réalise un programme, il doit faire en même temps du logement abordable – c’est-à-dire sous le prix du marché – et du logement social. Ces servitudes sont imposées et varient en fonction des quartiers.
À quelle densité construisez-vous ces nouveaux bâtiments?
Nous essayons d’économiser le foncier. Nous ne voulons pas bâtir à moins de 30 logements à l’hectare, mais dans le centre, c’est bien plus.
Quels sont les mécanismes qui permettent d’accéder à un logement?
La politique du logement doit être une chaîne globale. Il faut d’abord bien comprendre qui sont les gens qui souhaitent trouver un logement et quels sont leurs besoins et leurs ressources. Il faut donc mettre en place une offre de production diversifiée qui permettra de satisfaire les plus modestes… et aussi les plus riches!
Comment cette offre se catégorise-t-elle?
Nous avons trois catégories de production de logements. La première correspond à l’offre locative, pour laquelle nous créons beaucoup de logements sociaux : 1 000 sur les 4 000 qui sortent de terre chaque année. Nous avons ensuite des logements qui répondent à notre politique d’accession sociale à la propriété, destinés à ceux qui veulent devenir propriétaires mais qui se trouvent sous le plafond qui permet de le faire. Entre le prix du logement et la capacité de paiement, il peut y avoir un delta et la métropole le compense. Pour eux, nous mettons sur le marché entre 500 et 600 logements par an, pour un prix qui se situe autour de 2 100 euros le mètre carré. Souvent, ce sont des ménages qui habitaient dans des logements sociaux et dont la situation s’est améliorée qui en profitent. La dernière catégorie correspond aux logements dont l’acquisition ne permet pas de recevoir d’aide directe de la collectivité mais dont les prix sont inférieurs à ceux du marché parce que nous l’avons imposé aux promoteurs. Cela permet de réguler le marché, le prix médian de ces logements se situe autour de 2 600/2 700 euros le mètre carré alors qu’il est de 3 830 euros pour les logements privés classiques. La différence est très importante. Évidemment, la production de logements libres est vendue selon la loi de l’offre et de la demande.
Avant de mettre en place cette offre, comment avez-vous analysé les besoins?
En 2014/2015, par exemple, nous avons lancé une série d’études consacrées à l’analyse de la composition de la population et de ses niveaux de ressources. Ces travaux sont extrêmement approfondis et concernent l’ensemble de la population. Ils intègrent aussi les jeunes ou les personnes âgées, qui ont des besoins spécifiques.
Combien coûte cette politique du logement à l’agglomération?
Entre 2015 et 2025, nous y investissons 22 millions d’euros par an, auxquels il faut ajouter 5 millions d’euros pour l’achat de foncier. Lors de la décennie précédente, c’était beaucoup plus parce que nous voulions créer ce choc de l’offre. Certaines années, nous mettions 35 millions d’euros. Nous dépensons également 5 millions d’euros au titre des aides destinées à l’accession à la propriété.
En matière de logement, la main invisible qui est censée équilibrer le marché est donc inopérante?
Absolument. Si on laisse faire le marché, il exclut.
Comment s’intègrent le logement neuf et le logement ancien?
Effectivement, il n’y a pas que le neuf, nous réhabilitons également le parc immobilier ancien, public ou privé. Il faut que l’ancien garde son attractivité pour ne pas déséquilibrer le marché.
Sur le plan de l’urbanisme, comment gérez-vous la croissance de la ville et de sa métropole?
Nous avons fait le choix de la ville archipel, c’est-à-dire que nous préservons une ceinture verte autour de la ville avec des champs et des espaces agricoles. La métropole se développe au-delà de cette ceinture. Cela permet d’éviter la création de banlieues.
Cela nécessite l’accord de toutes les communes de la métropole…
Oui, mais cette politique fait consensus parce qu’elle a déjà montré son efficacité.
Proposer des logements sous le coût du marché est une chose, mais comment parvenez-vous à les maintenir à des coûts raisonnables lors de leurs reventes?
Jusqu’à présent, rien n’empêchait un acquéreur de revendre un logement obtenu au prix bas en réalisant une belle plus-value. Pour mettre fin à cette pratique, nous allons créer ces prochains jours un Organisme foncier solidaire. C’est-à-dire que l’acheteur sera uniquement propriétaire du volume, le terrain restant la propriété de l’organisme foncier (NDLR : comme dans un bail emphytéotique). Grâce à ce système, le prix à la revente est contrôlé car seul quelqu’un qui répond aux critères de l’accession sociale pourra acheter le logement. Notre objectif est de maîtriser le coût de 3 000 logements d’ici quelques années.
À quel point cette politique a-t-elle permis de créer davantage de mixité sociale dans les quartiers?
Le fait d’imposer aux promoteurs la construction d’un certain pourcentage de logements sociaux et de logements à prix modérés qui varie selon les quartiers (NDLR : jusqu’à 25 % de logements sociaux) permet, au fil du temps, un rééquilibrage des populations. C’est un de nos objectifs. Cela fonctionne d’ailleurs dans les deux sens. Après la Seconde Guerre mondiale, de grands quartiers d’habitat social ont été construits et ils posent aujourd’hui un problème de mixité. Notre volonté est d’y amener de la diversité immobilière. Là où il n’y avait que du logement social, nous créons des logements en accession à la propriété et des logements libres.
Ces quartiers populaires retrouvent-ils un attrait aujourd’hui?
Nous travaillons sur la rénovation des logements, les dessertes en transports en commun, les écoles ou les équipements pour redonner de l’attractivité à ces territoires. Et nous n’y construisons plus de logements sociaux, puisque nous préférons les produire ailleurs. Quand on rénove les quartiers, si on ne change pas la composition sociale et la démographie, au final, on ne change pas grand-chose. Le 1er juillet, nous serons, par exemple, les premiers en France à mettre en place le loyer unique dans le secteur locatif social. C’est-à-dire qu’un logement de même type aura le même loyer où qu’il se situe dans la Métropole. Nous allons pouvoir donner le choix du quartier ou de la commune aux locataires. C’est important pour la mixité.
Entretien avec Erwan Nonet.
Rennes en bref
Environ 217 000 personnes vivent à Rennes, tandis que sa métropole (qui englobe 43 communes) compte 420 000 habitants. Elle est la ville la plus jeune de France (60 % de la population a moins de 40 ans) et se situe au 3e rang national pour la croissance démographique (+1,4 % par an). Depuis 1990, sa population a augmenté de 30 %. Le taux de chômage oscille autour de 7,5 %, deux points de moins que la moyenne française.