L’artiste portugais João Penalva se plaît à raconter des histoires plus ou moins teintées de vérité. Au Mudam (jusqu’au 16 septembre), ses œuvres intimistes transportent le public dans des contes visuels, sollicitant l’imagination.
À le voir déambuler dans les couloirs du Mudam, sur la pointe des pieds et le sourire narquois, bien en retrait du mouvement saccadé du public, on se dit que João Penalva ressemble à ses œuvres, présentées pour la première fois au Luxembourg : à la fois discret et plein de malice. Un peu comme s’il s’obligeait au retrait, évitant ainsi de devoir expliquer son travail et, du coup, lui enlever cette part de mystère qui fait son charme.
Car l’artiste portugais, 69 ans, est un conteur d’histoires rigolotes, bancales, vaporeuses, usant d’artifices divers (vidéo, photographie, peinture, texte, son…) à sa portée pour tromper son monde. D’où son repli, ne serait-ce que pour voir la réaction des visiteurs devant son travail convoquant l’imagination et un sens certain du second degré.
On en veut pour preuve son Kitsune (2001), une ancienne acquisition du Mudam qui fait dire à Suzanne Cotter, la nouvelle directrice des lieux, que «la collection est un stimulant de tout ce que l’on fait» – dans un message subliminal adressé au conseil d’administration du musée. Là, sur la vidéo en question, tournée avec une voix off en langue nippone, deux personnages discutent devant ce qui semble être une forêt enchantée du Japon même si le tournage eut lieu en réalité… dans l’île de Madère. Tout le procédé de João Penalva, qui joue à l’équilibriste entre réalité et fiction. Oui, avec lui, tout est dans le plaisir de la narration, vu comme un art de persuader.
«Nous ne croyons que ce qui nous plaît», écrivait le philosophe Pascal, théorie qui plaît bien à cet artiste qui fait du récit un espace visuel, palpable, composé de temps d’arrêt, de changements de rythme. Un peu à la manière d’un chorégraphe – il assurera d’ailleurs au Grand Théâtre, à la mi-septembre, la direction artistique du spectacle de danse Fifteen Dancers and Changeable Tempo, produit par le Ballet national du Portugal – son travail est performatif, sans véritable finalité ni morale.
Mites et fantaisie
Plaisir de décrire, donc, qui va de pair avec le plaisir de se laisser entraîner, et de tromper. Comme avec ses fausses planches anatomiques qui s’appuient sur un jeu avec la langue. Le poids des mots, le choc des photos… Amusement, aussi, avec l’œuvre-phare de l’exposition, intitulée Pavlina and Dr. Erlenmeyer (2010), installation majeure s’étalant dans deux pièces distinctes. On est d’abord accueilli avec une photo d’un pantalon troué, «mangé par les mites» et donc «jamais utilisé». Un mystérieux préambule qui débouche sur toute une histoire, en l’occurrence celle de la vie du chimiste allemand Emil Erlenmeyer (1825-1909) dont les recherches ont conduit à l’invention de la naphtaline. Deux références totalement véridiques, alors que tout l’ornement de la salle ne l’est pas. Par exemple, le tableau du savant en train de mourir n’est qu’une fantaisie de l’artiste, comme le plan de la fameuse invention, qui n’est autre, en réalité, que celui d’une machine à torréfier…
On passe de ce salon «feutré» à une pièce obscure où se fixe la projection d’une image effrayante d’un insecte : une mite cauchemardesque, celle du rêve hanté d’une entomologiste à la retraite… Comme un écho, plus loin, Men Asleep (2014) présente une série d’hommes endormis, écroulés dans leur fauteuil. Imperturbable, le grondement du tonnerre ne les dérange nullement, comme si le corps et l’esprit étaient dissociés, suggère ainsi João Penalva.
Toujours dans des élans «vintage», l’artiste a composé une nouvelle œuvre pour cette exposition luxembourgeoise, invitant le spectateur à agir en épieur, obligé de regarder par la fente d’une porte pour découvrir un long film (140 minutes), un peu psychédélique, qui ramène au XIXe siècle. Des rêves, des songes et des instants suspendus qui s’affirment encore avec Petit Verre (2007), cadre vide tournant sur lui-même, accompagné d’une petite musique répétitive, entêtante, aux vertus hypnotiques… Autant de mises en scène qui nécessitent une part d’abandon de soi pour mieux profiter de ces histoires sans queue ni tête. Tout l’attrait de la fable.
Grégory Cimatti