Au nord du Portugal, un minuscule atelier sans âge à Anta. Les luthiers Capela y fabriquent depuis trois générations des violons d’exception. Une tradition et un savoir-faire toutefois menacés.
Joaquim Capela travaille avec son père Antonio, déjà octogénaire, dans cette commune pittoresque de quelque 10 000 habitants située à une vingtaine de kilomètres de Porto. Passionnés et submergés de travail, les luthiers Capela s’activent de bonne heure. Alors qu’une bruine incessante s’obstine au dehors, Antonio change en sourdine les cordes et les chevilles d’un violoncelle, tandis que Joaquim sculpte méticuleusement un nouveau chevalet, élément servant à transmettre les vibrations, destiné à un violon.
« Il faut en moyenne deux mois et demi pour réaliser un instrument. Mais nous avons tant de commandes qu’il nous faut généralement deux ans pour les honorer », explique Joaquim, assis à son établi au milieu d’une panoplie de ciseaux, gouges, rabots et compas. Il a 51 ans, dont près de 40 à chantourner le bois.
Des « enfants de bois »
Voilà bientôt un siècle que les Capela vendent leurs instruments à cordes frottées à travers le monde. Prix minimum : 3 000 euros.
L’histoire de ces luthiers commence en 1924. Domingos Capela, à l’époque humble menuisier tonnelier, accepte de réparer le violon d’un musicien italo-brésilien de l’orchestre d’Espinho, principale ville du district et voisine d’Anta. Ravi du travail réalisé, l’instrumentiste le recommande alors à ses confrères de l’orchestre : c’est le début de la success story. Depuis, les plus illustres virtuoses se sont succédé dans l’exigu espace d’artisanat familial, jusqu’au célèbre violoncelliste russe Mstislav Rostropovitch dont les clichés à l’atelier trônent fièrement sur l’un des murs envahis par les violons, les altos et les violoncelles.
À 85 ans, Antonio Capela enfile toujours son sarrau pour restaurer les instruments nés dans ses mains et reste très ému à chaque fois qu’un musicien joue sur ses « enfants de bois ». « Mis à part les deux ou trois jours par an où j’ai mon rhume traditionnel, je ne m’arrête jamais, même pas les week-ends », assure-t-il d’une voix paisible.
Le vernis, clé de voûte
Entre le remplacement de deux cordes, le luthier accepte d’évoquer les secrets de cet art, inchangé depuis près de 500 ans, qui ont notamment permis aux Capela de s’adjuger les quatre premières places du prestigieux concours international de constructeurs de violons Henryk Wieniawski en 1972 et le premier prix d’une autre compétition de renom au Japon en 1989.
« Pour faire un violon de qualité, il faut bien sélectionner son bois », explique Antonio. Aujourd’hui, les Capela utilisent exclusivement « de l’érable des Balkans pour le fond et de l’épicéa d’Italie pour la table d’harmonie : ils possèdent des qualités acoustiques formidables », détaille le luthier en sortant de sa housse le tout premier violon façonné par son père, alors en platane.
Selon lui, l’autre gage de qualité réside dans le vernis, qui permet à l’instrument d’exprimer pendant longtemps tout son potentiel sonore et dont le parfum embaume l’atelier d’Anta. « À Crémone, en Italie, la ville du violon, les autres luthiers me demandent souvent la recette de mon vernis, je réponds simplement qu’elle est la même que la leur… », glisse Antonio Capela dans un sourire espiègle.
Le Quotidien/AFP