Le centre de recherche Liser se penche sur la situation des travailleurs de plus de 55 ans. Que signifie devenir «vieux» sur le marché du travail ? Sociologue au Liser, Franz Clément pose la question dans un document où il interroge à la fois la définition de travailleur âgé, le regard porté par le monde économique sur les plus de 55 ans et les défis qu’impose à cette tranche d’âge la digitalisation de l’économie.
Un premier constat s’impose : après avoir augmenté de façon constante pendant 30 ans, le taux d’emploi des 55-64 ans au Luxembourg marque le pas depuis 2014, accusant même un léger fléchissement : de 25,1 % en 1983, il culminait à 42,6 % en 2014 pour baisser à 39,5 % en 2016, selon les chiffres du Statec.
Dans tous les cas, le Grand-Duché se situe en dessous de la moyenne des pays de l’Union européenne où le taux d’emploi de cette tranche d’âge était de 55,3 % en 2016. Ce chiffre reflète néanmoins d’importants écarts entre les 28, atteignant 75,5 % en Suède contre seulement 38,1 % en Croatie, le plus bas.
«Maintenir à l’emploi les travailleurs âgés est une préoccupation qui est de plus en plus présente dans les politiques européennes», relève le Liser dans un document publié mercredi 6 février. Afin d’atteindre cet objectif, le sociologue Franz Clément préconise «d’engager des actions à plusieurs niveaux : dans les politiques européennes, dans les politiques nationales, au sein des entreprises et bien sûr avec les travailleurs eux-mêmes».
Travailleur âgé à partir de 45 ans!
Mais à partir de quel âge est-on considéré comme travailleur âgé, s’interroge l’auteur du document? «La réponse n’est pas évidente», remarque Franz Clément. «Globalement, les recherches et les études qualifient comme travailleurs âgés des personnes ayant, au sens le plus large, entre 55 et 65 ans», constate-t-il, notant cependant que «certains travaux situent même le début à 45 ans!»
Quoi qu’il en soit, à considérer le sujet du point de vue européen, la définition du travailleur dit âgé revêt des réalités différentes en fonction des pays. Ces disparités s’expliquent en premier lieu par l’absence «d’harmonisation de l’âge d’accès à la retraite au sein des 28 États membres de l’Union européenne». Dès lors, chaque pays «use des politiques qui lui sont propres pour répondre à la problématique et à ses défis», souligne le chercheur.
L’image des travailleurs de plus de 55 ans s’est considérablement améliorée depuis 2012 qui avait été proclamée année européenne du Vieillissement actif et de la Solidarité intergénérationnelle, rappelle le Liser. Mais là encore, la manière dont est perçue cette tranche d’âge revêt des réalités variables se mesurant notamment dans la façon dont ces travailleurs sont désignés.
Lors d’un colloque interrégional organisé le 20 novembre dernier à Belval, la directrice du Liser, le Pr Aline Muller, remarquait : «On peut parler successivement de travailleurs expérimentés, de seniors actifs ou de travailleurs âgés.» Pour le sociologue Franz Clément, «le choix de l’expression n’est sans doute pas innocent en fonction du type d’acteur qui emploie telle ou telle tournure de langage». Et d’expliquer : «Une entreprise désireuse de valoriser ses ressources humaines et de maintenir son personnel parlera davantage de ses travailleurs expérimentés plutôt que de travailleurs âgés. Ces derniers mots seront certainement plus usités dans une firme désireuse de se défaire de son personnel.»
Le défi numérique
Pourtant, affirme-t-il, «changer les regards sur le vieillissement au travail, tant au niveau des travailleurs, des pratiques managériales que des politiques de gestion des ressources humaines, est une priorité économique».
Remporter ce pari ne sera cependant pas chose aisée, car il y a «un véritable changement de paradigme que les sociétés développées sont en train de vivre», écrit-t-il. «Il s’agit ni plus ni moins de l’adaptation du travail aux réalités de la digitalisation et de l’économie numérique», poursuit le sociologue.
Les changements induits par les évolutions technologiques vont «entraîner la disparition de certains emplois et constitue un réel défi pour les travailleurs dits âgés, en ce sens que ceux-ci vont devoir se former pour faire face aux mutations du travail qui vont en résulter».
Plus globalement, l’intérêt de maintenir les plus de 55 ans en activité porte «une image positive sur le vieillissement de la population», une problématique à laquelle font aujourd’hui face l’ensemble des pays aux économies développées. Pour le marché du travail, l’on est donc ni trop vieux à 45 ans, ni à 55 ans.
Fabien Grasser
Dans l’Union européenne, les organisations patronales plaident en faveur d’une hausse de l’âge de départ à la retraite. Leur souci premier est cependant moins de maintenir les seniors dans la société et de tirer profit de leur expérience que de préserver des systèmes de retraite qu’ils disent menacés. C’est aussi le cas au Luxembourg où le régime affiche pourtant une insolente santé, les réserves correspondant à 4,5 années de versement des pensions (17,8 milliards fin 2016). Dans une contribution au débat sur l’avenir des retraites, le président de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), Michel Wurth, comparait en 2011 l’actuel système à une «pyramide de Ponzi», mettant en garde contre des «conséquences désastreuses pour les générations futures». Dans ce document intitulé Une retraite pour tous, l’UEL déplorait un départ effectif des travailleurs à la retraite à 58 ans en lieu et place de l’âge légal de départ fixé à 65 ans. En 2014, Michel Wurth partait à la retraite à l’âge de 60 ans, conservant, il est vrai, la présidence de l’UEL, de la Chambre de commerce et nombre de sièges dans des conseils d’administration.