Le traducteur s’égosille sur la touche, répétant en mandarin les instructions du préparateur physique pour pousser les jeunes footballeurs chinois à courir plus vite, dans la chaleur étouffante du Brésil.
Ces jeunes doivent mettre les bouchées doubles pour remplir leur mission: s’imprégner de la magie du foot du pays de Pelé pour faire de l’empire du Milieu une nouvelle puissance du ballon rond.
Depuis avril, 22 joueurs de l’équipe des moins de 16 ans du Shandong Luneng, un des plus grands clubs de la Super League chinoise, s’entraînent à Porto Feliz, une ville paisible de 50 000 habitants située à environ 120 km de Sao Paulo.
À peine débarqués au Brésil après un voyage de plus de 18 000 km depuis Jinan, la capitale de la province de Shandong (est), ils ont dû changer de prénom.
Une stratégie comme une autre pour faciliter leur adaptation, les entraîneurs locaux ayant du mal à prononcer les noms chinois.
Long Yushuo est ainsi devenu Thomas, en hommage à son idole, l’attaquant Thomas Müller, du Bayern Munich.
Dans un portugais approximatif, ce jeune garçon souriant va droit au but quand on lui demande ce qu’il est venu améliorer au Brésil. « La technique », répond-il, sous les yeux de ses coéquipiers, vêtus comme lui du maillot orange de l’équipe chinoise.
Pluie de yuans
Ce partenariat sino-brésilien a débuté en 2014, quand le Shandong Luneng a acheté le Desportivo Brasil, un club créé neuf ans plus tôt par l’entreprise de marketing sportif Traffic qui voulait en faire un vivier de jeunes talents.
Le groupe Luneng, filiale de la plus grande entreprise publique d’énergie de Chine, ne lésine pas sur les moyens quand il s’agit d’investir dans le football.
Car depuis 2011, le président chinois Xi Jinping affiche ostensiblement l’ambition de transformer son pays en une place forte du football capable de remporter une Coupe du monde.
Le nerf de la guerre: une pluie de yuans sur les terrains. Les entreprises publiques ou privées chinoises multiplient ainsi les rachats de club à l’étranger et financent des transferts mirobolants pour attirer des joueurs de renom dans la Chinese Super League.
Parmi eux, déjà 21 Brésiliens, la plus grande colonie étrangère. Le club de Shandong en compte deux, Gil et Diego Tardelli, tous deux internationaux.
Pour autant, la Chine végète au 60e rang du classement Fifa et n’est pas parvenue à se qualifier pour le Mondial-2018.
Pour vraiment progresser, le Shandong Luneng mise sur des projets sur le long terme, comme celui de Porto Feliz.
Les jeunes joueurs chinois « sont très disciplinés, mais il leur manque un peu de malice, d’insolence propre au jeu brésilien », explique à l’AFP Rodrigo Pignataro, directeur technique du Desportivo Brasil.
L’enjeu est de taille. « Le gouvernement chinois veut faire de ce groupe la base de l’équipe nationale pour les jeux Olympiques de Tokyo en 2020. Nous avons une grande responsabilité », assure-t-il.
Exemple japonais
La formation dépasse le simple cadre du football: dès 9h00 du matin, les jeunes se retrouvent sur les bancs de l’école.
Pendant le cours d’histoire, ils doivent lire à voix haute des textes en portugais et en mandarin sur la proclamation de la République brésilienne, en 1889. Pas vraiment leur tasse de thé. La plupart font la grimace et attendent avec impatience le moment de fouler le terrain.
Ils espèrent suivre l’exemple de Lio Chaoyang, 18 ans, plus connu à Porto Feliz sous le nom de Vitinho – en hommage au milieu brésilien du CSKA Moscou.
Arrivé au Brésil en 2014, ce natif de Chengdu (centre) fait partie de l’équipe des moins de 20 ans du Desportivo Brasil. Totalement intégré, il parle couramment portugais et adore le funk brésilien. « Je rêve de jouer en Europe, mais je sais que je dois beaucoup m’améliorer », admet-il.
Le Shandong Luneng a aussi envoyé au Brésil des membres de son staff technique, comme Zhao Shuo, un assistant de 25 ans qui ne quitte pas d’une semelle ses collègues sud-américains depuis deux mois.
« En football, il faut être patient, parce que c’est toute une éducation, ce n’est pas un apprentissage à court terme. Peut-être qu’on aura besoin de dix ou vingt ans de plus », explique Zhao en anglais.
Le jeune entraîneur n’hésite pas à citer l’exemple du Japon, qui a bâti un projet de longue haleine dès le début des années 90, porté notamment par la venue de la star brésilienne Zico.
« Nous devons tirer des leçons de l’exemple de nos voisins et être patients », conclut-il, sans quitter le terrain des yeux.
Le Quotidien/ AFP