«Oui, nous allons sortir du glyphosate», a promis le ministre de l’Agriculture, Fernand Etgen. D’accord, mais comment ? Nous avons posé la question à différents acteurs du monde agricole.
Dossier réalisé par Romain Van Dyck
La Commission européenne a décidé de prolonger de cinq ans l’autorisation du glyphosate. Le Luxembourg a aussitôt déclaré vouloir abandonner dès que possible cet herbicide controversé, rendu célèbre par le Roundup de Monsanto.
Reste que cette prise de position pose de nombreuses questions : pourquoi, quand… et surtout comment ? C’est cette question des alternatives au glyphosate que nous avons posé au monde agricole. Les réponses sont aussi variées que les interlocuteurs : certains se passent de glyphosate depuis toujours, d’autres ont décidé de s’en passer… et d’autres sont plus sceptiques.
C’est le cas de la directrice de la Centrale paysanne, Josiane Willems. «Le glyphosate est une discussion très délicate, controversée… et où il y a une certaine désinformation du public», répond-elle d’emblée. «Je sais que des ONG mettent des études sur la table pour dire que le glyphosate est dangereux. Nous savons évidemment qu’il faut manipuler ce produit avec précaution, ce n’est pas une limonade ! Il faut savoir comment l’utiliser, et mettre vraiment la dose minimale nécessaire.»
Mais «des institutions européennes, comme l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), déclarent que le glyphosate est un produit sûr. Donc je trouve qu’on devrait avoir une confiance légitime dans l’avis des scientifiques. Car ce qu’on critique, c’est que le débat a été trop politisé et idéologisé, sans tenir compte de la science.»
Donc, «notre proposition est de dire qu’il faut profiter de ces cinq ans pour trancher définitivement cette question de façon scientifique, pour dire si oui ou non il y a un danger. Et si l’EFSA arrive à la conclusion qu’il y a un danger, on sera les premiers à dire qu’il ne faut pas l’utiliser. Il faut donc aussi profiter de ces cinq ans pour trouver une réelle alternative au glyphosate. Car pour l’instant il n’y a pas de produits aussi économiques et efficaces que le glyphosate.»
Un produit «bénéfique pour le climat»
Et elle voit d’autres avantages à cet herbicide. «Le glyphosate a un bénéfice pour le climat. Il permet de cultiver les terres sans les retourner, sans labourer : on le pulvérise avec une herse par-dessus les terres. Alors que quand on passe avec la charrue pour désherber, on libère le CO2 emprisonné dans la terre. C’est pour ça qu’on a recommandé aux agriculteurs un labour qui ne remue plus la terre.»
De plus, «le glyphosate est un produit qui est très vite dégradé dans la terre. Selon la dose qu’on utilise, il peut disparaître dans la terre sans laisser de traces rapidement. Au bout d’une quinzaine de jours, on peut déjà planter une nouvelle culture.»
C’est pourquoi elle avertit le gouvernement : «Le ministre doit savoir que sa décision, si elle n’est pas accompagnée d’alternatives sérieuses, posera de vrais problèmes aux agriculteurs.» D’abord parce que bannir le produit au Luxembourg «créerait un déséquilibre par rapport aux autres pays qui continueraient à l’utiliser.»
Ensuite parce qu’il existe de nombreux autres herbicides autorisés au Luxembourg, or «le glyphosate est le produit le mieux étudié, dont on connaît le mieux les effets et l’utilisation».
Et enfin «parce qu’il n’y a pas réellement d’alternatives au glyphosate aujourd’hui. En tout cas, pas d’alternatives qui n’entraînent pas d’augmentation des frais et du travail pour les agriculteurs.» Pourtant, nous avons pu rencontrer des agriculteurs qui s’en passent… et qui visiblement ne le regrettent pas le moins du monde.
« Des moyens plus efficaces et écologiques »
« Je comprends très bien qu’un agriculteur habitué à utiliser des produits artificiels ait des difficultés à s’en passer, surtout si toute l’infrastructure est basée sur l’utilisation de ces produits. Mais c’est tout à fait possible », assure Marko Anyfandakis.
Et on le croit sur paroles… et sur actes. Car le jeune homme, avec deux autres Luxembourgeois, a fait pousser un jardin communautaire et bio à Luxembourg, sur les hauteurs de Mühlenbach. Le projet, nommé «Terra», permet à ses membres de manger des légumes et fruits de saison, locaux et bios. Donc évidemment, «nous n’utilisons pas de glyphosate. Notre but est d’avoir un sol vivant, qui permet une qualité gustative et nutritive supérieure des légumes.»
Et pour y arriver, pas de secret : «Notre façon de désherber, c’est le travail du sol sans labour. On ne retourne pas la terre, car à chaque fois qu’on le fait, on permet aux semences de mauvaises herbes comme le chiendent, qui étaient bien cachées à l’intérieur, de pouvoir pousser.»
Mais cela ne suffit évidemment pas. «Avant de cultiver, on met une bonne couche d’une matière organique, du foin, voire même des cartons biodégradables, et sur cette couche on met du compost. Cela évite que les mauvaises herbes puissent passer à travers.» Ensuite, «c’est très important, au printemps, quand tout recommence à pousser, d’enlever les mauvaises herbes. Car les premières années, il y en aura toujours, mais si on fait l’effort de les enlever très vite, petit à petit on arrive à les éliminer. Il ne restera qu’un petit travail d’entretien, pour enlever des plantes qui peuvent être apportées par le vent, les oiseaux…»
Le glyphosate est souvent vanté pour sa capacité à éviter l’érosion du sol et à éliminer les nitrates. Mais selon Marko Anyfandakis, «il y a des moyens plus efficaces et écologiques : couvrir le sol, ne pas casser sa structure en le retournant tout le temps, enrichir sa biodiversité… Pour les nitrates, la biologie active dans le sol permettra que les nutriments soient captés par des formes non solubles dans l’eau. C’est plus stable et plus utile pour les plantes, car elles peuvent se servir selon leurs besoins, sans que les nitrates partent polluer les nappes phréatiques».
Bref, le bio, «c’est une tout autre manière de travailler qu’avec des produits chimiques. Il faut être plus attentif, et on ne peut pas désherber avec de grosses machines. Mais si on le fait de façon intelligente, le résultat est là.»
«Donnons les moyens de changer aux agriculteurs»
Frank Adams est maître maraîcher, membre de Bio Lëtzebuerg. Au lycée technique agricole d’Ettelbruck, ce chargé d’éducation apprend à ses élèves le maraîchage biologique. Il n’est pourtant pas catégorique au sujet de l’interdiction imminente du glyphosate au Luxembourg. Citant les nombreuses études et rapports contradictoires publiés sur le sujet, il rappelle que «la question de la cancérogénicité supposée du glyphosate ne fait pas l’unanimité».
De même, «en ce qui concerne l’utilisation de pesticides chimiques, il ne vaut mieux pas incriminer les agriculteurs, qui ne sont que les exécutants d’une politique agricole communément acceptée. Si cette politique agricole doit changer, il faut aussi donner les moyens adéquats aux agriculteurs pour suivre ce changement.»
Mais il tient à faire une distinction. Si «au niveau des produits phytosanitaires que l’on utilise pour contrer les ravageurs et maladies de culture, il y a des produits et mesures biologiques qui pourraient plus ou moins facilement remplacer les produits chimiques», en ce qui concerne les herbicides, «la situation est différente. Les agriculteurs et maraîchers qui travaillent selon le cahier des charges de l’agriculture biologique ont l’habitude et l’expérience de gérer les adventices de façon mécanique et thermique. Un cultivateur conventionnel habitué aux herbicides chimiques ne peut pas changer ses modes de culture du jour au lendemain.»
Donc «interdire le glyphosate est une chose, mais trouver des alternatives en est une autre. Une solution simple ne semble pas en vue», constate-t-il. Et de citer plusieurs pistes :
– remplacer le glyphosate par d’autres herbicides chimiques
– mettre au point des désherbants biologiques pour l’agriculture professionnelle
– former les agriculteurs conventionnels au désherbage mécanique et thermique
« C’est facile pour nous ! »
Niki Kirsch est le président du groupement maraîcher, le Lëtzebuerger Maarteverband. Il gère avec son fils l’exploitation maraîchère Lëtzebuerger Geméis, à Luxembourg. Arrêter le glyphosate ? «C’est facile pour nous. Les maraîchers, au Luxembourg, n’utilisent pas de glyphosate ! Je ne sais même pas l’utiliser. Les derniers mois, on en a entendu parler, mais on n’est pas habitué à ça. Nous, on est habitué à travailler avec la binette et les machines, pour enlever les mauvaises herbes.»
Pourquoi le Luxembourg y arrive, alors que d’autres pays ne peuvent pas s’en passer ? «Parce que nous sommes de petites entreprises. J’ai travaillé en Suisse dans une entreprise de maraîchage, il y avait 180 hectares. Moi, à titre de comparaison, j’en ai 4. Voilà !», dit-il en riant. Il poursuit : «Avec le glyphosate, oui, c’est plus rapide. Mais on est habitué avec les machines, et ça nous suffit. Les légumes au Luxembourg, c’est seulement produit dans des terrains légers, donc si vous avez des jours plus secs, on utilise les machines tôt le matin, et le soir les mauvaises herbes sont débarrassées. Donc on doit être réactif, et c’est peut-être un peu plus cher que le glyphosate, mais on sait s’en passer.»
Aucune étude sérieuse n’a montré la dangerosité du glyphosate aux doses normales.
A des doses exaggérées, l’aspirine est mortelle.