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Adrien Portier : « Il n’y en a pas beaucoup qui m’aiment dans ce pays »


"Mon image, je ne l'ai pas réfléchie. Vous savez, j'en ai vu défiler des entraîneurs et tous demandent des choses différentes", confie Adrien Portier. (Photo Julien Garroy)

Dans un peu plus d’une semaine, le rugueux défenseur central ne sera plus un joueur de la Vieille Dame, qui a accepté de le libérer cet hiver pour convenances professionnelles et un futur départ pour l’Asie.

Le Français va donc tirer un trait sur neuf années et demie en noir et blanc, après un dernier derby contre le Fola, dimanche, et un match de Coupe le 10 décembre contre le RFCU.

Vous allez peut-être finir sur un derby contre le Fola, c’est plus glamour quand même, non ?

Adrien Portier : Oui, c’est un peu particulier pour moi parce que j’y ai quand même pris quelques cartons rouges (NDLR : deux en 2013) au début de l’époque Jeff Strasser. En fait, je suis arrivé au moment où le Fola remontait. Depuis, ils ont pas mal grandi, alors c’est une raison de plus pour les battre ce week-end et boucler la boucle. Surtout qu’ils sont affaiblis par rapport aux dernières années. On a un coup à jouer, on va les taper !

Et après, quel que soit le résultat, ce sera bye-bye. Avez-vous conscience de laisser une petite trace dans ce championnat ?

Je pense que l’avantage que j’ai sur tous ceux qui sont passés, c’est que je me suis identifié à ce club, à la façon de vivre et d’être des gens. Ils ont bien vu que j’étais naturel et que je l’étais sur la durée. Des gars qui ont les mêmes caractéristiques, il y en a d’autres, mais moi, j’ai véhiculé les valeurs du club un sacré bout de temps.

Naturel ? Le défenseur central rugueux, celui qui génère le débat, ce n’est donc pas un personnage qu’on se crée ?

Ah, faites un sondage : il n’y en a pas beaucoup qui m’aiment dans ce pays. À part les supporters de la Jeunesse. Là, il y en a beaucoup plus. Après, qu’on ne m’apprécie pas, je m’en fous. Je suis dans mon rôle et ça a toujours été comme ça, aussi chez les jeunes. Ce qu’on pense de moi ne m’intéresse pas et, à la limite, je préfère cette animosité parce que je ne peux pas rentrer dans les attaquants que j’apprécie, comme Sanel Ibrahimovic ou Daniel Gomez (NDLR : deux anciens attaquants de la Jeunesse passés au F91) par exemple. Ceux-là, je ne peux pas les casser. Un des plus beaux duels que j’ai pu vivre en dix ans, c’est contre ce « golgoth » de Karapetian. Voilà un gars qui ne lâche rien, comme je les aime. J’aime qu’on me résiste. Quand on ressort d’un match avec un gars comme ça et qu’il n’a pas marqué, on a l’impression d’avoir rempli une mission…

Les attaquants de ce pays ne vont pas vous regretter…

Figurez-vous que j’ai eu pas mal de messages depuis qu’on sait que je vais partir. Des joueurs qui ont évolué avec moi, mais aussi d’autres avec lesquels je ne m’entendais pas forcément. Comme Delvin Skenderovic, qui est aujourd’hui à Pétange mais avec lequel on se fritait souvent quand il était à Käerjeng… On s’embrouillait tout le temps.

Vous n’avez pas un style qui incite à la camaraderie entre adversaires, il faut dire…

Mon image, je ne l’ai pas réfléchie. Vous savez, j’en ai vu défiler des entraîneurs et tous demandent des choses différentes. Certains veulent qu’on joue dur, d’autres qu’on ne prenne pas de risque… Marc Thomé, lui, il veut qu’on joue. Beaucoup de gens pensent que je suis un casseur, mais beaucoup ont changé d’avis quand ils ont commencé à jouer avec moi ou à m’entraîner. Vous savez, j’ai fait dix ans à la formation au FC Metz. On ne tient pas aussi longtemps là-bas si on a les pieds carrés.

Avez-vous l’impression que cette dureté, ce style, est aussi une façon un peu désuète de voir le football, qui se perd lentement ?

Je m’en rends compte, oui. Les jeunes, je leur dis qu’ils ont le droit de rêver, mais qu’il faut qu’ils gardent les pieds sur terre. Ne pensez pas qu’au foot. Ici, ça ne rendra personne riche. J’ai du mal à en comprendre certains. Moi, je préfère garder cette image du mec qui n’est jamais le dernier pour aller boire un coup, et qui accepte de le faire avec plaisir avec les adversaires une fois qu’on n’est plus sur le terrain. Restez les pieds sur terre, buvez des bières !

Avez-vous eu l’impression, parfois, d’en avoir trop fait dans le rôle du méchant ?

Non. En même temps, c’est un tout et la presse a aussi beaucoup aidé à créer cette réputation. Après, les arbitres arrivent derrière, avec cette idée en tête et c’est l’engrenage. Rien que cette année, j’ai pris quatre jaunes et un rouge en huit titularisations. Vous vous rendez compte ? Plus d’un avertissement tous les deux matches. C’est énorme. Surtout qu’il y en avait trois qui étaient de trop, que je ne méritais pas. Les fautes sont parfois spectaculaires mais pas méchantes. C’est juste le souci de la réputation. Les arbitres se disent « c’est Portier, il le mérite ». Pourtant je vous le dis, blesser un joueur, ce n’est jamais cool. Je n’y suis jamais allé pour ça.

Et pourtant, ça vous est arrivé…

Eh, moi aussi j’en ai pris! Mais c’est comme ça, ça reste du foot ! Et je suis encore capable, après un match, d’aller boire une bière avec mon pire ennemi. Effectivement, j’ai blessé Karapetian, j’ai cassé le nez à Belgacem (NDLR : Hamm), mais j’ai toujours pris des nouvelles…

La plus belle chose que vous ayez réalisée en dix ans ?

Avoir gagné tout ce qu’il était possible de gagner et jouer la Coupe d’Europe en passant un tour. J’ai réalisé tout ce qui était réalisable dans ce club et je pense que peu de joueurs de la Jeunesse à être là, actuellement, le réaliseront un jour.

Vous jouerez en Asie ?

Je vais envoyer quelques CV pour tenter de garder la forme dans un club. Je ne ferai pas ma vie là-bas. Quand je reviendrai, peut-être pour fonder une famille, je verrai bien si j’ai encore envie de foot, et si c’est le cas, forcément, la Jeunesse sera ma priorité. Mais en football, tout va très vite. Qui sera le coach ? Qui sera le président ? Et est-ce que j’aurai envie ?

Entretien avec Julien Mollereau