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Retour des Rohingyas: l’espoir teinté de pessimisme du cardinal du Bangladesh


"Les cris des Rohingyas sont les cris de l'Humanité", plaide le cardinal, qui partage le même effroi que le pape sur leur sort. Environ 620.000 d'entre eux ont fui depuis fin août. (photo: AFP)

Le cardinal bangladais Patrick D’Rozario veut croire au retour des Rohingyas en Birmanie après la signature d’un accord bilatéral. Mais il redoute le chaudron, potentiellement explosif, que constitue le gigantesque camp de réfugiés au sud du Bangladesh, explique-t-il.

« J’espère le retour des Rohingyas en Birmanie. Un protocole d’entente est signé entre les gouvernements de Birmanie et du Bangladesh, la communauté internationale le souhaite, et la venue du pape préparera les esprits et les cœurs en ce sens », explique Mgr D’Rozario, archevêque de Dacca.

Il attend avec impatience l’arrivée du pape, qui l’a nommé cardinal en 2016, une première historique au Bangladesh musulman, qui compte une minuscule communauté de 380  000 catholiques.

François est attendu lundi en Birmanie, puis le 30 novembre au Bangladesh, une visite précédée par un cadeau diplomatique: un accord signé jeudi entre les deux pays portant sur un retour « dans les deux mois » de la minorité musulmane apatride des Rohingyas.

Mais le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a estimé que les conditions n’étaient actuellement pas réunies pour assurer un retour « sécurisé et durable » dans l’Etat Rakhine (ouest de la Birmanie), d’où les réfugiés continuent à fuir en dénonçant exactions et viols.

« Les cris des Rohingyas sont les cris de l’Humanité », plaide le cardinal, qui partage le même effroi que le pape sur leur sort. Environ 620.000 d’entre eux ont fui depuis fin août.

S’ajoutant à quelque 300 000 Rohingyas précédemment arrivés, ils sont désormais 900 000 entassés dans un camp dans le sud du Bangladesh, qui fait face à l’une des plus graves crises humanitaires de ce début de XXIe siècle en Asie.

« A leurs côtés »

« Ce sont des êtres humains qui souffrent et nous devons répondre à leur appel », dit le cardinal D’Rozario, « heureux que le Bangladesh ait ouvert son cœur pour les recevoir ».

Il a lui-même passé deux jours dans le camp, s’entretenant avec des familles dans leurs abris de misère, écoutant la litanie des « atrocités » subies. « L’important est de leur dire qu’on est à leurs côtés », glisse le prélat, inspiré par une expression fétiche du pape: « L’Eglise est un hôpital de campagne ».

L’organisation caritative catholique Caritas a lancé un programme d’aide alimentaire de 3,5 millions d’euros pour s’occuper de 40 000 familles, souvent nombreuses, soit environ 300 000 personnes.

« Imaginez un peu, une petite Eglise comme la notre, travaillant avec les Rohingyas et s’occupant d’un tiers des réfugiés! », calcule fièrement Mgr D’Rozario.

Mais ce septuagénaire au rire jovial ne cache pas son profond pessimisme: « L’avenir est très sombre ».

« Je ne crois pas que le Bangladesh puisse s’occuper des Rohingyas sur le long terme. Il faut qu’ils rentrent, mais ils ne le feront pas sans que soient garantis leur sécurité, leur citoyenneté, leur droit à la terre, à un logement », souligne-t-il.

« L’aide internationale est satisfaisante, mais jusqu’à quand ? La générosité ne continuera pas à affluer comme dans les phases initiales », estime-t-il.

« Beaucoup de tensions » 

Et dans un Bangladesh surpeuplé, qui a déjà cédé des terrains pour accueillir le flot des réfugiés vivant dans des conditions effroyables, « les gens vont devenir frustrés et violents, ils n’auront pas assez de nourriture », prévoit-il.

Il y a déjà « beaucoup de tensions chez les tribus locales de la région », décrit-il, car les Rohingyas « commencent à aller s’installer dans les collines où vivent des tribus ». « Dans le passé, des Rohingyas ont déjà pris des terres dans les villages chrétiens ».

« J’admire la population locale qui a vu sa population doubler. L’économie, l’environnement sont touchés. Avec la coupe massive d’arbres pour construire des abris, il y aura des glissements de terrain lors de grosses pluies. Les problèmes vont se multiplier », redoute-t-il.

Le pape n’ira pas dans le camp, à une heure de vol de Dacca. Mais Mgr D’Rozario va faire venir dans la capitale un petit groupe de réfugiés Rohingyas, avec l’aide du ministère de l’Intérieur et Caritas.

« Nous avons suggéré au gouvernement qu’il sélectionne des réfugiés récemment arrivés au Bangladesh, des enfants, des femmes et des hommes », précise-t-il.

La rencontre, très attendue médiatiquement, permettra au pape de « montrer sa compassion » pour cette ethnie apatride qu’il a déjà défendue à maintes reprises depuis la place Saint-Pierre.

Le Quotidien/ AFP