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S’exiler ou affronter le Kremlin : le dilemme de l’opposition russe


L’une des plus célèbres militantes écologistes de Russie, Evguenia Tchirikova, a choisi l'exil en Estonie. (Photo AFP)

Confrontée à un nouveau tour de vis du Kremlin, l’opposition russe, encore sous le choc du meurtre d’une de ses figures de proue, Boris Nemtsov, hésite entre l’exil et la poursuite de la lutte au sein d’une coalition regroupant les maigres forces libérales et démocrates.

Partir ou rester ? Et pour quoi faire ? Certains opposants et journalistes indépendants, voire des rédactions entières comme celle du site internet Meduza installée en Estonie, ont fait le choix de partir. Dernière en date : l’une des plus célèbres militantes écologistes de Russie, Evguenia Tchirikova, exilée en Estonie. La peur de voir ses enfants devenir la cible de chantages a eu raison de celle que le monde connaissait pour avoir réussi à bloquer le passage d’une autoroute au travers d’une forêt près de Moscou.

Depuis l’assassinat le 27 février de l’opposant Boris Nemtsov à deux pas du Kremlin, les perquisitions se sont multipliées chez les opposants. Le 16 avril, alors que le président russe Vladimir Poutine affirmait à la télévision que «l’opposition a le droit et la possibilité de participer à la vie politique du pays», des policiers armés ont fouillé les locaux d’Open Russia, mouvement fondé par l’ex-oligarque et opposant Mikhaïl Khodorkovski, et emporté entre autres leurs ordinateurs.

Le lendemain, c’était au tour de l’appartement de Natalia Pelevina, militante du parti RPR-Parnas codirigé par Boris Nemtsov, d’être perquisitionné. «Depuis peu, ils ne visent plus seulement des opposants connus mais aussi de simples militants, signale-t-elle. Ils veulent nous terroriser, nous forcer à abandonner la lutte. Et bien, j’ai peur mais je n’abandonnerai jamais.»

Après cette perquisition, l’activiste a été déclarée suspecte dans le cadre de l’affaire «Bolotnaïa», du nom de la place du centre de Moscou où a eu lieu le 6 mai 2012 une manifestation contre le retour au Kremlin de Vladimir Poutine. Elle risque entre huit et seize ans de prison.

S’unir pour réussir

Comme elle, Narmina Akhmadli a souvent pensé à quitter la Russie, sans franchir le pas. «A chaque fois, je me demande comment pourrais-je aider mon pays si je ne suis pas là ?», confie l’étudiante de 21 ans, qui milite au sein de RPR-Parnas. «Mais c’est devenu si dur, si terrifiant de faire de la politique, estime-t-elle. Nous sommes minuscules face à l’immense machine du pouvoir. Il faut s’unir pour avoir une chance de réussir.»

Le parti RPR-Parnas et celui de l’opposant numéro un au Kremlin, Alexeï Navalny, ont récemment annoncé la naissance d’un nouveau mouvement, la Coalition démocratique, vite rejointe par six autres groupes et partis d’opposition, dont Open Russia. «On a décidé d’éliminer les broutilles qui divisaient jusqu’à présent le camp de l’opposition», a résumé Alexeï Navalny, annonçant la présentation d’une liste unie de candidats à Novossibirsk (Sibérie), Kalouga (sud de Moscou) et Kostroma (nord de Moscou) où auront lieu en septembre des élections locales.

Pour Konstantin Kalatchev, directeur du Groupe d’expertise politique, ces scrutins «seront un test pour (la coalition). L’automne 2015 donnera une idée de leurs chances en 2016», quand se tiendront des élections au niveau fédéral. Désormais débarrassée des «ambitions personnelles» de ses dirigeants, l’opposition pourrait convaincre «au minimum 15 à 20%» des Russes. «C’est suffisant pour entrer à la Douma», la chambre basse du Parlement, note Konstantin Kalatchev.

«On y va avec l’objectif de gagner», a martelé mercredi Alexeï Navalny, estimant que la mort de Boris Nemtsov «a donné un vrai coup de fouet» à l’opposition. Mais l’opposant se dit conscient des obstacles que pourrait lui tendre le Kremlin. «Contre notre stratégie, ils élaborent la leur, qui se fonde sur la peur, la division, la corruption. Nous nous y attendons vraiment», écrit-il sur son blog.

Mais, comme le souligne un expert, «le futur de l’opposition ne dépend pas d’elle, mais du Kremlin. S’il décide de lancer une nouvelle vague de répression, alors elle n’aura plus le choix et devra s’exiler».

Le Quotidien/AFP