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Dopage et travail : les professionnels de la santé s’alarment


Le Dr Pezé décrit une "augmentation générale" aussi bien des traitements licites "aidant à tenir le stress au travail, l'anxiété, les situations de maltraitance, l'hyperactivité convoqués par le travail" que "de toutes les autres substances", illicites. (Photo : AP)

Médicaments, alcool, tabac, cannabis, cocaïne…: les actifs consomment de plus en plus de substances psychotropes, légales et illégales, mais la question du lien avec le travail n’est jamais posée, déplorent des professionnels du secteur alors que s’ouvre lundi un congrès sur le sujet.

Vingt millions d’actifs en poste ou au chômage (sur 29 millions, selon l’Insee) sont concernés, soulignait en 2016 la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).

« De plus en plus d’actifs ont une utilisation des produits soit pour tenir, soit pour dormir ou récupérer, soit pour se construire une identité professionnelle. Il ne s’agit pas de consommation pour se mettre en marge, mais pour rester dans le match », explique Gladys Lutz. Cette chercheuse préside l’association Addictologie et travail (Additra) qui organise le congrès à Montrouge (Hauts-de-Seine) avec entre autres la fédération Addiction, en partenariat avec la Mildeca. Mais « la question du lien entre organisation du travail et consommation de psychotropes n’est jamais posée », alors qu' »il y a urgence » à changer d’approche, ajoute-t-elle.

« Dopage légal et illégal »

La France, dont la productivité horaire compte parmi les plus élevées au monde, est aussi le premier pays consommateur de psychotropes, rappelle Marie Pezé, docteur en psychologie, psychanalyste et responsable du réseau des 130 consultations « souffrance au travail » qu’elle a lancé en 1996 et qui accueille chaque année entre 1 000 et 1 500 patients. S’il n’existe pas de statistiques précises sur ce lien, il est « évident », dit-elle. Son constat est sans appel: la situation est « catastrophique ». La « frénésie qui s’est emparée des organisations du travail oblige au dopage légal et illégal ».

Le Dr Pezé décrit une « augmentation générale » aussi bien des traitements licites « aidant à tenir le stress au travail, l’anxiété, les situations de maltraitance, l’hyperactivité convoqués par le travail » (antidépresseurs, somnifères, anxiolytiques), que « de toutes les autres substances », illicites, en lien avec « la tribu » à laquelle les actifs appartiennent: « cocaïne chez les traders » et les communicants, « amphétamines » chez les artistes notamment, alcool « en forte augmentation chez les plus jeunes », cannabis pour « redescendre »…

Banalisation

« Les produits pour se booster sont en pointe, il n’y a qu’à regarder les comptoirs des pharmacies »; il y a même « des cocktails anti burn-out », ajoute l’auteure du « Burn-out pour les Nuls » (ed. First) qui parle d’un « marché juteux ». Chaque jour, elle constate des « épuisements neurophysiologiques » de patients dont les fonctions intellectuelles sont parfois « définitivement atteintes ». Parmi eux, « de plus en plus de très hauts cadres » notamment « des femmes ».

Dans un récent rapport, l’Académie de médecine pointe la « polyconsommation », « en pleine recrudescence dans « des logiques d’automédication » avec « une banalisation des usages », dit Mme Lutz qui constate aussi une « explosion » de la consommation d’anti-douleurs comme les dérivés morphiniques, « liée aux troubles musculosquelettiques » et notamment au « mal de dos ». « Aujourd’hui, on transporte une mini pharmacie avec soi et on se passe du lexomil », dit-elle, dénonçant la prescription sur « des mois, voire des années » de somnifères et d’anxiolytiques pourtant destinés à un traitement temporaire.

Selon l’Agence nationale pour la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), 740 millions de boîtes d’analgésiques et 164 millions de boîtes de psycholeptiques (somnifères, régulateurs de l’humeur, etc…) ont été vendues en officines en 2013.

« Si on se penchait sur la consommation de médicaments, on établirait tout de suite le lien avec les conditions de travail », dit Olivier Liaroutzos, de l’Agence pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), sous la tutelle du ministère du Travail. Pourtant, nuance-t-il, il est « complexe » à mesurer en raison de l’imbrication très forte entre vie privée et vie professionnelle, renforcée par l’hyperconnectivité. Il déplore cependant le manque de coopération des employeurs comme des syndicats au sein des entreprises, qui doivent « cesser de faire l’autruche ».

Intitulé « Liens entre le travail et les usages de psychotropes: si on en parlait ? », le congrès réunit lundi et mardi au Beffroi de Montrouge acteurs institutionnels mais aussi chercheurs et médecins, spécialistes de l’addictologie et de la santé au travail lors de conférences et d’ateliers.

Le Quotidien/AFP