Le Centaure lance sa saison, mercredi, avec Mission, de David Van Reybrouck. Une mise en scène de Marja-Leena Junker avec Francesco Mormino sur un missionnaire blanc au Congo.
Voilà 48 ans que le père Grégoire a quitté sa Belgique natale pour s’installer au Congo. En bon missionnaire, son but est, bien évidemment, l’évangélisation des peuples africains, mais plus à travers le geste que la parole, à travers le travail et l’entraide. D’Afrique, il regarde notre société européenne avec étonnement. Et d’ici, quand il revient trois mois tous les trois ans, il jette un regard
surpris sur le continent noir.
Il est seul sur scène, dans un décor simple, simpliste. Une table haute en bois occupe la scène. Des photos et une soutane sont simplement accrochées aux murs. Tout ce qu’il possède peut tenir dans une petite valise. Telle est la vie de père Grégoire, ce prêtre catholique missionnaire en Afrique. Un «Père blanc» interprété par Francesco Mormino, un habitué du Centaure. «Ce père Grégoire est un kaléidoscope d’une soixantaine de Pères blancs que l’auteur a vraiment interviewés, note le comédien, un Père blanc qui est a priori assez représentatif de ces prêtres de village impliqués dans le tissu social.»
Pour le Belge installé au Congo, pas question, en effet de se contenter de faire la messe pour évangéliser l’Afrique. Il est plutôt de ceux qui mettent la main à la pâte. «Il vient christianiser, oui, mais de manière intelligente je dirais, reprend le comédien sur qui tient toute la pièce. Il dit à moment : « il ne s’agit plus de gagner des âmes en échanges de pilules ou de crayons », il est là pour aider les gens, les Africains, c’est une véritable vocation.» Et d’ajouter : «Après, il reste toujours du racisme, du colonialisme, du paternalisme, etc.»
1 h 30 avec un homme attachant
Homme d’ici installé là-bas, il parvient à garder une distance critique vis-à-vis de ses deux pays, de ces deux cultures. Ainsi il critique l’opulence matérialiste des Européens, d’autant plus qu’il peut la comparer au dénuement des Africains; les Belges qui se plaignent tout le temps, qui ont tout mais qui n’ont plus le temps d’en profiter, qui changent de couple comme de chemise; il critique notre matérialisme, notre impatience, notre avidité, notre compétitivité. Mais il n’est pas non plus dupe au sujet des guerres, des dictatures, des génocides, etc., de son continent d’adoption. Et il regarde tout ça avec beaucoup d’humanité. Loin de tout dogmatisme rigide, dans le but de faire le bien, d’améliorer les choses.
C’est que lui-même est empli de doutes et a plutôt tendance à tout remettre en question. Ses convictions, sa foi – lui qui a connu un amour de jeunesse avant de recevoir «l’appel» –, mais aussi les discours du Vatican – «c’est l’esprit de mon Église que je veux suivre, pas la lettre», dit-il.
D’ailleurs, il est pour l’utilisation des préservatifs et pour un christianisme spécial pour l’Afrique, plus ouvert et tolérant.
Dit comme ça, ça a l’air bien austère, et pourtant la pièce est légère, drôle même, assure la metteuse en scène, Marja-Leena Junker. «Il a un côté très humain, très attachant, proche de tout un chacun», explique-t-elle. «C’est un bon vivant, il a de l’humour sur les choses», reprend Francesco Mormino. «Quand on lit le texte, il y a énormément de moment très drôles et très touchants. Quand il parle de sa mère, par exemple, c’est à pleurer tellement c’est beau!» Autre exemple que cite le comédien : «À un moment, il veut motiver les gens à construire une route. Alors il dit, pour chaque mètre fabriqué, il va offrir à l’un un maillot de foot, à l’autre une paire de chaussures à crampons, etc. Comme ça, en cinq ans, il a 80 kilomètres de route… et une équipe de foot!» Bien vu!
Le texte est non linéaire, fait d’anecdotes qui passent allégrement du coq à l’âne. On ne sait pas trop si le père Grégoire rêve, raconte ses souvenirs, s’il présente une sorte de conférence ou autre. Peu importe. D’autant que l’auteur ne donne que très peu de didascalies gestuelles. Selon le comédien, «on peut faire beaucoup de choses différentes avec ce texte, on est très libres, parce qu’il est très riche. On passe vraiment par toutes les couleurs, de choses très légères, drôles, avec de l’émotion, à la violence ou encore la tristesse.»
Une fiction documentaire où tout est, sinon réel, du moins juste et réaliste. Du théâtre de la parole proche du conte. «Les spectateurs vont passer une heure et demie avec un homme attachant, drôle, humain, qui se remet en question, qui remet tout en question. Ceux qui viendront, je vous le garantis, ne vont pas s’ennuyer une seconde», conclut Marja-Leena Junker. À quoi Francesco Mormino ajoute : «Mission, c’est un vrai voyage. Un voyage en Afrique, en Belgique, mais surtout dans les entrailles des gens. On y apprend des choses et on se remet en question.»
Pablo Chimienti
Théâtre du Centaure – Luxembourg.
Première, demain à 20 h.
Jusqu’au 18 novembre.