Dans son passionnant Retour à Lemberg, Philippe Sands retrace l’histoire silencieuse derrière les concepts de «génocide» et «crime contre l’humanité» apparus dans le contexte du procès de Nuremberg.
Philippe Sands était l’invité de l’Institut Max Planck lors d’une rencontre organisée en coopération notamment avec l’association MemoShoa, Neimënster et l’Institut Pierre Werner.
Il y a quelques années, Philippe Sands, avocat franco-britannique, professeur de droit à l’University College de Londres et auteur de plusieurs ouvrages sur l’ex-Yougoslavie, le Rwanda ou encore Guantanamo, avait été invité à donner une conférence à la faculté de droit de l’université de Lviv en Ukraine, ville où par ailleurs son grand-père Leon Buchholz passa son enfance avant de la fuir après l’invasion allemande en 1941, échappant ainsi à l’Holocauste, qui décimera sa famille.
Lviv, alors appelée Lwów, était une ville polonaise que le pacte germano-soviétique avait brièvement placée sous contrôle soviétique en 1939, mais qui allait changer encore de nom pour devenir Lemberg et passer sous l’autorité du Gouvernement général de Pologne, confié au Reichsleiter Hans Frank.
Lemberg, carrefour des idées
À la Libération, le «bourreau de la Pologne», responsable de l’extermination de millions de juifs, sera incarcéré au camp Ashcan à Mondorf-les-Bains, avant d’être jugé à Nuremberg et condamné à la peine de mort en 1946 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Le concept de «crime contre l’humanité», tout comme celui de «génocide», est apparu pour la première fois dans le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, précurseur de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, créée en 2002. Comme le découvrira Philippe Sands, les deux concepts, intimement liés à leurs biographies, ont été développés de manière distincte par deux juristes. Ils ont pour noms Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin. Tous deux originaires de Lviv, ils y ont, à quelques années d’écart, étudié le droit chez le même professeur et dans la même salle, celle exactement où plusieurs décennies plus tard Philippe Sands était invité à s’exprimer en spécialiste de la défense des droits de l’homme. Plus tard, tous deux se retrouveront dans les coulisses de Nuremberg, sans apparemment jamais s’adresser la parole, mais yeux dans les yeux avec Hans Frank, le bourreau de leurs proches dont à ce moment-là ils ignorent tout de leur sort.
De cette coïncidence – et Retour à Lemberg est truffé de hasards et de convergences –, les collègues ukrainiens de Philippe Sands entendaient parler pour la première fois. Peut-être parce qu’en Ukraine Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin sont considérés comme des «juifs polonais…», comme l’a suggéré, mercredi, l’avocat, qui a assuré devant un public fasciné «lire toujours absolument tout» à propos d’un sujet, une fois qu’il s’y intéresse.
C’est à cette habitude qu’il doit la découverte de la biographie de Niklas Frank, fils de Hans Frank, avec lequel il se liera d’amitié et qui porte toujours sur lui une photo de son père mort afin de s’assurer qu’il est «bel et bien mort», comme il le raconte dans Un héritage nazi : ce que nos pères ont fait, le documentaire qu’il a réalisé avec son ami avocat.
Frédéric Braun