Né en 1976, le festival du Film italien de Villerupt tient sa 40e édition à partir du 27 octobre. Oreste Sacchelli, le délégué artistique, nous parle de l’histoire et du présent de la manifestation.
Quarante éditions, ça se fête! Ou pas. Les organisateurs du festival du Film italien de Villerupt annoncent une édition 2017 comme les autres. Le Quotidien en a néanmoins profité pour faire le point avec Oreste Sacchelli et revenir sur le passé, parler du présent, s’avancer sur le futur de cette manifestation transfrontalière.
Quelle a été votre première réaction en voyant ce chiffre 40 accolé à cette édition 2017 de votre festival?
Oreste Sacchelli (délégué artistique) : C’est clair qu’il y a la magie du chiffre rond. Quand on a fêté les 20 ans du festival, ça nous semblait déjà miraculeux d’être toujours là. C’est bien évidemment encore plus le cas maintenant. En même temps, comme entretemps on a fait les 30 et que là, ça se répète encore, ça perd un peu de sa magie. Ce que je vois déjà, c’est que l’an prochain ça fera 41. Et comme on a toujours cette idée que chaque année on doit faire mieux que la précédente, j’espère juste que la 40e sera meilleure que la 39e, mais aussi moins bien que la 41e! On a donc préparé cette 40e édition exactement comme on a préparé toutes les autres. Il y a seulement au niveau du thème (NDLR : le cinéma italien qui gagne), où on est allés chercher une idée un peu particulière par rapport à ce qu’on fait d’habitude. Globalement, c’est une édition qui se présente bien, surtout parce que le cinéma italien se présente bien.
Avant de reparler du cinéma d’aujourd’hui, repartons en arrière. Pourquoi un festival du Film italien? Pourquoi il y a 40 ans? Pourquoi à Villerupt?
Le festival est né un peu par hasard. Il y avait autour de la MJC un groupe de jeunes qui faisait de la photo, qui avait une caméra 16 mm, une petite table de montage et qui avait envie de faire du cinéma. Mais à l’époque, il fallait beaucoup d’argent pour ça. Pour s’en procurer, la MJC de Villerupt organisait des week-ends cinématographiques thématiques avec l’exploitant local. En 1976, l’idée est venue de faire quelque chose sur le cinéma italien. Comme on le verra dans l’exposition de nos 40 affiches qui se trouvera dans la grande salle pendant le festival, l’affiche du premier festival n’a pas de numéro. Simplement parce que ça devait être une édition unique.
L’année d’après, on était censés passer à un autre sujet. Mais vu l’engouement qu’a créé cette première – on est passés de 700-800 spectateurs à plus de 3 000 –, les gens se sont dit qu’ils avaient touché à quelque chose d’important. Du coup, il y a eu une deuxième édition, qui a attiré plus de 5 000 spectateurs, et ainsi de suite. Mais pendant très longtemps, on ne pensait qu’à une édition à la fois. Ce n’est que bien plus tard qu’il s’est institutionnalisé. Le festival ne s’est, depuis, arrêté qu’en 84 et 85, faute de combattants – ça tenait, d’un côté à la crise du cinéma italien et au fait que Venise avait décidé de ne plus présenter les films sous-titrés en français, mais en anglais, et de l’autre côté à la crise locale et au gros investissement fait à Villerupt pour le film de L’Anniversaire de Thomas, sorti en 82.
Comment est-il né à nouveau en 86?
Il y a eu sur place, autour surtout de Bernard Reiss, la volonté de recréer une équipe. Une renaissance avec une fréquentation beaucoup plus basse que ce que nous avions auparavant. Nous avions arrêté en 83 avec plus de 30 000 spectateurs, nous avons redémarré à moins de 20 000. Il a fallu, surtout prendre le virage du nouveau cinéma italien. On avait déjà commencé à présenter des films de Verdone, Moretti, Michetti, Giordana, mais ce n’était pas le corps de la programmation qui reposait encore pour beaucoup sur Scola, Rosi, Monicelli, etc. C’est-à-dire le cinéma italien qui était importé en France auparavant et qui ne l’était plus trop, puisqu’il était en crise depuis 76. Quand on s’est arrêtés, on avait du mal à faire une programmation… disons digne.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui?
Ah non! Clairement pas. Aujourd’hui on écarte beaucoup de films, mais surtout par manque de place et d’argent (il rit). Il y a actuellement en Italie une création forte et de qualité.
À Villerupt vous ne proposez d’ailleurs pas que des « films de festival », mais aussi des comédies populaires et depuis deux ans également du documentaire.
C’est justement ce qui nous caractérise. Il y a effectivement ce qu’on appelle des « films de festival » dans la compétition. Et encore, c’est particulier, parce que, comme on réserve, en gros, la compétition aux premiers et deuxièmes films de réalisateurs, on essaye de repérer des réalisateurs dont on pense qu’ils transpirent le cinéma. Mucino, par exemple, il a été primé chez nous avant de connaître le succès. Francesco Amato qui a remporté le prix du jury pour Cosimo e Nicole vient de remporter le Globe d’or de la meilleure comédie décerné par la presse étrangère en Italie. Certains films que nous proposons sont déjà sortis en salle en Italie, mais notre spécificité c’est de proposer sur ces films un regard français, belge et luxembourgeois, puisque nos jurys sont presque entièrement composés de membres de ces nationalités. Mais à côté de la compétition, on a aussi le panorama qui nous permet de proposer un cinéma plus populaire et grand public.
Quelle serait aujourd’hui la spécificité du cinéma italien?
C’est d’avoir un peu trop le « tout comédie ». Pas toujours de bonne facture, soyons honnêtes. Mais nous faisons, parmi ces comédies, parmi ces films populaires, une sélection assez drastique. Mais si on regarde le box-office italien, on s’aperçoit que les comédies occupent systématiquement les 10, voire les 20 ou plus, premières places. Peu importe. Nous on montre un certain nombre de films qui marchent en Italie, à condition qu’ils soient d’une qualité cinématographique forte.
Le festival est une des rares grandes manifestations qui ont vraiment réussi leur implantation transfrontalière. C’était important pour vous de vous installer à Esch, à Dudelange et dans une moindre mesure à Luxembourg?
Oui. Nous sommes dans un lieu qui est par nature transfrontalier. Quand on a débuté, il y avait la douane et passer la frontière pouvait être, parfois, très problématique. Actuellement, on ne peut pas imaginer le festival de Villerupt sans cette osmose avec le Luxembourg. Sans le public luxembourgeois qui se déplace jusqu’à Villerupt, mais aussi cette implantation qui dépasse le cadre simplement local. C’est important d’amener des artistes rencontrer des publics dans les différents lieux du festival, dont la KuFa et le CNA, pour leur montrer justement la spécificité de ce lieu très particulier qu’est ce coin Villerupt-Esch-Dudelange qui est une sorte de résumé de la Grande Région.
Et puis, c’est pratique pour présenter des films que vous ne pouvez pas présenter sur le territoire français.
(Il rit) C’est arrivé plusieurs fois, en effet, que des films que nous voulions présenter soient en distribution en Belgique, mais pas en France. C’était le cas, par exemple pour Io non ho paura, de Salvatores, qui était encore en tractation pour le marché français, nous ne pouvions donc pas le projeter à Villerupt; nous l’avons donc présenté à Esch. Plus récemment, on avait programmé Marina, mais le festival de Rome s’est plaint auprès des ayant droits sur le fait que le film était présenté chez nous. Ça nous a beaucoup fait rire que le festival s’alarme du fait que le film passe à Villerupt. Nous avons donc présenté ce film à Belval. Et c’était très bien!
Que changeriez-vous à ce festival, si vous aviez les moyens?
Je ferais en sorte qu’on ait une vraie salle…
Que se passe-t-il d’ailleurs avec cette fameuse cette salle promise depuis des années?
(Il souffle) Elle était effectivement censée être là. Disons qu’il y a sans doute des problèmes qui m’échappent en lien avec la commune, la communauté de communes, etc. Actuellement, on parle d’une salle prête pour 2020. On verra bien!
Puisqu’on parle du futur, est-ce que la relève est assurée?
On y travaille. Pour que le festival survive, il faut qu’il conserve son esprit d’implication bénévole. Il faut que ça reste entre des mains, pas de professionnels, mais de passionnés. Il faut un esprit militant. Pour ça il faut que, nous les anciens, on puisse transmettre cet esprit, que des jeunes travaillent d’abord avec nous, puis après nous.
Comment voyez-vous le festival dans 40 ans?
Je ne sais pas du tout. Comment sera le cinéma dans 40 ans? Ce qui est clair, c’est que l’envie de récit en images est plus forte que jamais. Mais on va moins au cinéma. Alors y aura-t-il encore des salles de cinéma? Je dirais que oui, parce que ça participe d’une sorte de rite social. Mais regardez Netflix qui a produit des films pour son système de distribution et qui se retrouvent sélectionnés à Cannes. La consommation ciné, mais aussi télé est en train de changer incroyablement entre replay, VOD, streaming, etc. Il est difficile de savoir ce que sera la monde audiovisuel dans 40 ans. Mais, moi, c’est clair, je le verrai du ciel!
Entretien avec Pablo Chimienti