Dire écrivaine ou pompière, écrire des ingénieur.e.s, des salarié.e.s. Ces suggestions hérissent certains amoureux de la langue française, mais les partisans d’une communication non-sexiste sont convaincus que langage et écriture peuvent contribuer à l’égalité femmes-hommes.
En 2015, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes avait publié un guide incitant les pouvoirs publics à adopter une communication « sans stéréotypes de sexe ».
« Une langue qui rend les femmes invisibles est la marque d’une société où elles jouent un second rôle », faisait-il valoir, rappelant que la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin n’a pas toujours existé mais a été instaurée au XVIIe siècle. Plusieurs ministères, institutions, collectivités et universités se sont depuis engagés à appliquer ces recommandations. Mais le sujet était resté assez éloigné du grand public.
Jusqu’à ce que le Figaro fasse état fin septembre d’un manuel scolaire de CE2, publié il y a six mois par les éditions Hatier et rédigé en « écriture inclusive ». Les noms de métiers y sont écrits ainsi: agriculteur.rice.s, artisan.e.s, commerçant.e.s.
Il y a quelques jours, le ministère du Travail a publié un guide de bonnes pratiques pour aider les petites et moyennes entreprises à atteindre l’égalité professionnelle femmes-hommes. Parmi ses recommandations, « éliminer toutes les expressions sexistes » telles que Mademoiselle (« Monsieur et Madame suffisent »), accorder les noms de métier avec le sexe de la personne (ingénieure, cheffe d’équipe) ou encore user du masculin et féminin: « dites les clientes et les clients. Par écrit vous pouvez simplifier: les client.e.s ».
Révolution
Pour Olga Trostiansky, présidente du Laboratoire de l’Egalité, partenaire de ce guide, « ce travail est très important, de l’ordre du symbole, et peut participer à l’évolution et la réflexion sur ces sujets ». Mais « il n’y a aucune obligation », souligne-t-elle auprès de l’AFP. « Il y a des étapes à franchir. Certaines entreprises peuvent plus facilement travailler sur la féminisation des noms de métiers, avancer sur directrice, technicienne… Ce qui leur semble plus compliqué, c’est l’écriture ».
C’est de fait le sujet qui déclenche le plus de réactions. « Je me considère comme un homme féministe » mais « je suis très réservé » car « cette écriture inclusive, elle morcèle les mots », disait récemment le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, sur LCI.
Plus virulent, le philosophe Raphaël Enthoven, chroniqueur sur Europe 1, s’élève contre une « agression de la syntaxe par l’égalitarisme » qui donne « des mots illisibles », et fustige « une réécriture qui appauvrit le langage ».
« Les féministes contemporain.e.s tombent dans le même piège que les nouveaux antiracistes: ils.elles rejettent l’égalité d’individus abstraits pour introduire une différenciation sans fin entre sexes, races et origines diverses », écrit pour sa part Gaspard Koenig, philosophe et président du groupe de réflexion libéral « Générationlibre », dans une tribune publiée par Les Echos.
Pour Raphaël Haddad, dirigeant de Mots-Clés, une agence de communication qui a publié fin 2016 un manuel d’écriture inclusive, ces débats, qui se « focalisent sur le point milieu », utilisé pour séparer deux lettres, ont l’avantage de « faire accepter de manière massive la féminisation des noms de métiers. Il y a dix ans, la critique était sur ambassadrice, préfète… », rappelle-t-il à l’AFP.
En un an, son guide gratuit a été téléchargé « 25.000 fois », dont 6.000-7.000 depuis la médiatisation du manuel scolaire. « La révolution est en cours », estime M. Haddad, citant le Cnam, célèbre Conservatoire national des arts et métiers, devenu récemment sur toutes ses communications « Ecole d’ingénieur.e.s ».
Pour Maria Candea, sociolinguiste à l’université Sorbonne-Nouvelle, ce débat est « une consécration » pour un langage inventé de longue date par les féministes, repris ensuite par des mouvements anarchistes. « Peu importe la forme qu’on lui donne, l’essentiel c’est que ce langage permet de rendre tout le monde visible », explique-t-elle à l’AFP. « Si une langue n’évolue pas, elle meurt. »
Début 2018, l’association de certification Afnor proposera « deux nouveaux modèles de clavier » français où apparaîtra notamment le « point milieu ». Ce projet, soutenu par les féministes, a initialement été lancé car ce signe est utilisé en catalan et en occitan, a précisé l’Afnor à l’AFP.
Le Quotidien / AFP