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Congeler pour mieux voir: le Nobel de chimie à un Suisse, un Américain et un Britannique


(Photo : AFP)

Le prix Nobel de chimie a récompensé mercredi trois biophysiciens pour la cryo-microscopie électronique (cryo-ME) qui permet d’observer des molécules sans les altérer et en 3D, une percée technologique qui a notamment fait ses preuves dans le décryptage du virus Zika et la maladie d’Alzheimer.

Le Suisse Jacques Dubochet, 75 ans, l’Américain Joachim Frank, 77 ans, et le Britannique Richard Henderson, 72 ans, ont été récompensés pour avoir mis au point cette méthode révolutionnaire.

« Le prix cette année récompense une méthode rafraîchissante d’imagerie des molécules de la vie », a annoncé Göran Hansson, le secrétaire-général de l’Académie royale des sciences qui décerne le prix. Grâce à ce procédé, « les chercheurs peuvent désormais produire (…) des structures tridimensionnelles de biomolécules », a justifié le jury Nobel.

Les chances d’obtenir le prix étaient « minuscules car il y a tellement d’autres découvertes chaque jour », a réagi Joachim Franck, joint au téléphone par l’Académie royale. « D’une certaine manière, j’étais sans voix et je me suis répété, c’est une nouvelle fantastique ».

La cryo-microscopie électronique permet d’étudier des échantillons biologiques (virus, protéines, enzymes) sans attenter à leurs propriétés, comme cela se produit avec des colorants ou les faisceaux d’électrons dégagés par les rayons X.

En microscopie électronique conventionnelle, les échantillons –la plupart du temps constitués d’une grande quantité d’eau– doivent en effet être déshydratés, et donc altérés. De façon à obtenir la meilleure image possible, il est par ailleurs fréquent d’utiliser des colorants ou des sels qui là encore perturbent l’observation.

Jusqu’aux années 1980, lorsque Jacques Dubochet et ses équipes inventent la cryo-microscopie électronique: grossièrement, il s’agit de congeler l’échantillon pour qu’il conserve son état originel. Plus précisément, l’eau de la molécule est « vitrifiée » le plus rapidement possible avant sa cristallisation.

Le co-lauréat Jacques Dubochet a ironisé en conférence de presse à Lausanne, indiquant que si l’académie de Stockholm l’avait honoré, « c’est parce que nous avons appris à travailler (…). Nous avons inventé l’eau froide ».

Salmonelle, protéines résistantes aux antibiotiques, molécules régissant les rythmes circadiens sont autant d’exemples de biomolécules aujourd’hui imagées grâce à la cryo-ME. « Une image est une clé pour la compréhension », explique l’Académie.

Virus Zika

En 1990, Henderson a le premier produit une image en 3D en résolution atomique d’une protéine. Joachim Frank, a ensuite perfectionné cette technique et l’a rendue plus facile à utiliser. En mars 2016, une étude publiée dans la revue Science dévoile la structure du virus Zika, permise grâce à la cryo-ME.

« Quand les chercheurs ont commencé à soupçonner que le virus Zika était responsable de l’épidémie entraînant de graves anomalies cérébrales chez les nourrissons au Brésil (en 2015, NDLR), ils ont eu recours à la cryo-EM pour visualiser le virus », a rappelé le comité Nobel.

Des images 3D du virus ont ensuite été générées et les chercheurs ont pu lancer des recherches ciblées de traitements et de vaccins. La méthode a également été utilisée pour étudier les enzymes impliqués dans des affections comme la maladie d’Alzheimer.

En 2016, le prix était allé au Français Jean-Pierre Sauvage, au Britannique Fraser Stoddart et au Néerlandais Bernard Feringa, pères des minuscules « machines moléculaires » préfigurant les nanorobots du futur. Il s’agit du troisième des Nobel annoncés chaque année début octobre.

Le prix de médecine a été attribué lundi à trois généticiens américains spécialistes de l’horloge biologique et celui de physique a récompensé mardi trois astrophysiciens, également américains, pour la détection en 2015 des ondes gravitationnelles dont Einstein avait prédit l’existence un siècle auparavant.

Bob Dylan connaîtra jeudi le nom de son successeur au palmarès du prix de littérature décerné par l’Académie suédoise. D’après les critiques et les bookmakers, le Kényan Ngugi wa Thiong’o tient la corde, devant le Japonais Haruki Murakami et la Canadienne Margaret Atwood, éternels favoris d’une récompense qui se plaît à déjouer tous les pronostics.

Le Franco-libanais d’origine syrienne Adonis, les Israéliens Amos Oz et David Grossmann, l’Albanais Ismail Kadaré et l’Italien Claudio Magris semblaient également bien placés pour coiffer les lauriers Nobel.

Suivront le prix de la paix vendredi, attribué par le comité Nobel norvégien à Oslo, et le prix d’économie lundi. Cette année, chaque prix est doté de neuf millions de couronnes suédoises (environ 943.000 euros) que se partagent les lauréats.

Le Quotidien / AFP