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Poupées de lux(ur)e…


Réalisée en élastomère, la poupée a des mains ajustables, une tête et un sexe amovibles. (Photo AFP)

Elle repose impassible sur le lit étroit, prête à accueillir le consommateur de son regard vide et de ses rondeurs plantureuses. Son nom ? « 156 ». Sa raison d’être ? Compagne de substitution pour Chinois esseulé.

« 156 », pour sa taille de 1 mètre 56, est un sex-toy : une poupée haut de gamme vendue 2 400 euros dans les magasins spécialisés de Pékin. Réalisée en élastomère, matériau plus doux que le silicone, elle a des mains ajustables, une tête et un sexe amovibles. Liu la conserve chez lui au milieu de ses rares affaires dans son studio mal éclairé, perdu au fond d’une banlieue industrielle de Pékin.

Comme des millions de Chinois qui ont quitté leur foyer pour venir travailler à la ville, ce dessinateur industriel dans l’automobile mène une vie de célibataire pendant la semaine, avant de retrouver sa femme et son enfant le weekend dans la province voisine du Hebei (est de la Chine). Liu est marié depuis plus de dix ans et entend rester fidèle à son épouse. Mais il veut satisfaire son appétit sexuel.

« Honnêtement, c’est très facile en Chine de payer un peu d’argent pour une femme, mais je ne peux pas me résoudre à tromper mon épouse », explique-t-il avec un petit rire nerveux. Pas question non plus de poupées gonflables, « ce genre de trucs en plastique bon marché ». Il a donc déboursé 15 800 yuans (2 400 euros), près d’un mois de salaire, pour sa « 156 », un modèle plus réaliste fabriqué en Chine.

Pourtant, Liu se dit déçu. « Comme dessinateur industriel, je regrette le manque de détails réalistes. Donc je ne m’en suis servi que quelques fois. Le seul aspect pour lequel une poupée est mieux qu’une femme, c’est qu’elle ne résiste pas. Les gens peuvent faire d’elle ce qu’ils veulent », dit-il.

Pléthore de sex shops

Liu a acheté sa poupée chez Micdolls à Pékin, où le vendeur Yi Jiange assure fièrement : « La plupart des gens pensent que les poupées sont plus désirables que les femmes. » La « 156 » n’est qu’un des modèles disponibles, tous livrés chauves : il revient aux consommateurs de leur choisir une perruque. Ses clients sont généralement des cadres aisés ou des chefs d’entreprises âgés d’une trentaine ou d’une quarantaine d’années. Et de bonne moralité, assure le vendeur : « Si un homme marié refuse de voir des prostituées et leur préfère des poupées, n’est-ce pas admirable ? » Quant aux épouses, la plupart « n’acceptent pas vraiment » ces poupées, et « ma propre petite amie n’approuve pas vraiment mon travail », confie-t-il.

Si le Parti communiste chinois a imposé un strict puritanisme les premières décennies suivant son arrivée au pouvoir en 1949, qui a encore largement cours aujourd’hui, le développement considérable du pays depuis vingt ans s’est accompagné d’une bien plus grande liberté sexuelle… et de l’apparition d’une pléthore de sex shops. Le marché des sex toys en Chine est estimé à plus de 100 milliards de yuans (15,2 milliards d’euros) par an. Le propriétaire de Micdolls, Zhang Han, a décidé de se lancer dans la production de ses propres modèles. Il parie pour cela sur un « boom » de la demande, qu’il explique par le déséquilibre démographique homme/femmes en Chine.

Dans le pays le plus peuplé du monde, le rapport de masculinité est l’un des plus élevés au monde avec l’Inde – 116 garçons pour 100 filles, selon le Bureau national des statistiques en Chine -, résultat d’avortements sélectifs donnant la préférence aux mâles. « Beaucoup d’hommes jeunes ont donc du mal à trouver une femme ou à socialiser avec elles », explique le commerçant. « C’est pourquoi ils pourraient les remplacer par une poupée ».

D’ailleurs, « beaucoup de jeunes hommes esseulés se sont fait des amis sur le net à travers les forums d’amateurs de poupées », qui comptent 20 000 fans, assure encore M. Zhang. La plupart achètent ces poupées d’abord pour le sexe. Mais « ils commencent ensuite à les habiller de manières différentes et finissent par leur donner un nom comme à un humain, avec une espèce de relation sentimentale qui s’établit », raconte le vendeur Yi.

AFP