La section des Arts décoratifs et populaires recèle son lot de surprises. Cette machine à laver fabriquée à Dudelange dans les années 1950 en est une. Régis Moes est fan!
Ne pas perdre la mémoire, voilà la mission de la section des Arts décoratifs et populaires du musée national d’Histoire et d’Art. Régis Moes en est le gardien et son métier consiste autant à mettre en valeur les objets majeurs qu’à recueillir les pièces qui feront les collections de demain.
Arrivé en tant que conservateur de la section des Arts décoratifs et populaires en avril 2014, Régis Moes est le plus jeune conservateur du musée! Au cours de ses études en histoire contemporaine menées à Bruxelles puis Paris, il s’est notamment intéressé aux Luxembourgeois dans les colonies. Aujourd’hui, il est chargé de développer les collections portant sur l’histoire contemporaine luxembourgeoise. « Le public s’y intéresse et c’est le moment de s’en occuper, explique-t-il. Nous avons acquis une certaine distance qui a permis d’atténuer les passions sur les questions politiques et sociales et il ne faut pas tarder à récupérer les objets représentatifs parce que beaucoup sont déjà partis au rebut. »
Pour ce faire, il quitte régulièrement le musée, appelé par des particuliers qui vident une maison, par exemple. « Les gens sont étonnés de voir ce qui nous intéresse! En plus de l’électroménager ancien en lien avec le Luxembourg, nous récupérons souvent de petits objets que beaucoup jugent sans valeur et qui n’intéresseraient souvent personne d’autre que le musée. Je pense par exemple à des objets en lien avec les campagnes électorales, comme des porte-clés des années 1980 ou une boîte d’allumettes publicitaire, que j’ai dégotée récemment , sortie pour la campagne électorale de Josy Barthel en 1979. »
La machine à laver
On ne s’attend pas à trouver une machine à laver, fût-elle ancienne, dans un musée national d’histoire et d’art! Ce grand écart apparent amuse Régis Moes : « Il ne s’agit pas d’un objet de musée typique, il n’est pas très beau et le musée a même fait le choix de ne pas le rénover. Il manque des boulons et des vis, la peinture est écaillée… » Cette machine a été fabriquée dans les ateliers dudelangeois de l’entreprise Zuang au début des années 1950 et n’a cessé d’être utilisée qu’en… 1990! «La notion d’obsolescence programmée n’existait pas à l’époque », sourit Régis Moes. Malheureusement, en l’absence de la facture d’origine, on ne connaît pas sa date de fabrication.
Mais ce qui interpelle, c’est la nationalité de l’imposant appareil : cette machine à laver est luxembourgeoise! L’entreprise Zuang a été créée en avril 1940 par Nico Zuang. Elle était alors installée dans la rue des Jardins à Dudelange. La marque a fabriqué les premières machines à tambour laveur en cuivre (ou laiton) avec foyer en fonte à circulation d’eau du pays. Elle publiait des publicités dans les journaux ( Luxemburger Wort et Tageblatt ) et était très présente dans les différentes foires, dans la capitale ou à Esch-sur-Alzette. Plus tard, lorsque la production a cessé, Zuang est devenue une blanchisserie.
L’électroménager
Il est parfois plus facile d’apprendre à connaître des périodes anciennes que celle qui nous précède à peine! Cette machine à laver ouvre une fenêtre sur l’économie du pays, juste après la guerre. « Il n’y avait pas que l’ARBED et HADIR, le tissu économique était bien plus diversifié que cela », soutient Régis Moes.
Au siècle dernier, on trouvait donc des fabricants d’électroménager dans tout le pays : « Il n’y avait pas que Zuang. Entre 1947 et 1950, la firme Koos à Ettelbruck fabriquait également des machines à laver. » Pas si loin de nous, la Société industrielle de Vianden (SIVI) a produit entre 1952 et 1997 des réfrigérateurs sous son nom, d’abord, puis sous celui d’Electrolux.
Encore plus tôt, le pays comptait plusieurs fabricants de radios. Jibelux en produisait dans les années 1930 et 1940. Ducal en concevait sous sa marque puis sous celles de Telefunken ou Braun de 1945 à 1955.
Il y eut un âge d’or dans l’après-guerre, mais il s’est assez vite essoufflé. Le contexte historique explique cette situation : « La Première Guerre mondiale a donné un coup d’arrêt au commerce international. Entre 1850 et 1914, nous vivions une grande période de mondialisation des flux. Imaginez, il a fallu attendre les années 1970 pour retrouver un tonnage du commerce mondial équivalent à celui de 1913 », avance Régis Moes. Alors que le progrès technique ne cesse d’avancer, il est pratiquement indispensable de produire localement pour contrecarrer ce déficit d’échanges commerciaux. Dès les années 1950 et surtout à partir de 1970, la tendance s’inverse et les petits producteurs ne peuvent plus résister à la concurrence dans une économie mondialisée.
Le contexte local a également joué un rôle dans l’amplitude limitée qu’a prise ce secteur d’activité. « Ces entreprises ont souffert d’un manque de main-d’œuvre et de la concurrence avec la sidérurgie. À l’époque, l’ARBED drainait une grande partie de la force de travail du pays. Même les artisans étaient tentés par les salaires fixes plutôt élevés et les huit heures de travail par jour qui n’étaient pas garanties ailleurs », soutient Régis Moes.
Pourquoi ce choix?
Le conservateur avoue ressentir une tendresse particulière pour cette machine à laver. Pour lui, cet objet insolite est non seulement un témoin important de son époque, mais il revêt aussi un aspect émotionnel. « Nous sommes dans l’intime, cette machine à laver a une belle histoire. Elle a servi jusqu’en 1990, ses propriétaires en ont donc pris grand soin et elle a particulièrement bien rempli sa fonction. Conserver ce type de mémoire, pour moi, c’est une vraie mission de service public! »
Erwan Nonet