Quelques dizaines de militaires s’activent à assembler des plateformes en bois à la frontière canado-américaine, au sud de Montréal, où un nouveau campement va accueillir une vague de migrants en provenance des États-Unis.
Sur des terrains adjacents, des enfants courent entre les rangées de tentes couleur kaki déjà installées. Leurs parents, des demandeurs d’asile, attendent que les services frontaliers examinent leur dossier avant de pouvoir rejoindre l’un des centres d’hébergement temporaire de Montréal. Comme chaque jour, des bus scolaires jaunes déposent des dizaines de personnes et leurs valises devant les bureaux des services frontaliers canadiens, à un jet de pierre de la frontière. Ces migrants viennent d’être interpellés près d’une petite route sur la frontière, à quelques kilomètres du point d’entrée officiel au Canada de Saint-Bernard-de-Lacolle.
Les autorités sur place empêchent tout contact des médias avec les nouveaux arrivants. La plupart sont d’origine haïtienne et fuient les Etats-Unis avant la perte prévue en fin d’année d’un statut de protection temporaire accordé à près de 60 000 Haïtiens après le séisme de 2010. Leur nombre est en constante augmentation depuis le début de l’été. De 400 en mai, ils sont maintenant 3 800 depuis le début du mois d’août à avoir franchi la frontière à des points de passage non-officiels.
En vertu d’un accord canado-américain, les demandeurs d’asile doivent déposer leur demande dans leur pays d’arrivée. Mais cette règle ne s’applique pas à ceux réussissant à atteindre le Canada en évitant les postes-frontières. Plus de 800 kilomètres de frontière entre la province francophone du Québec et les Etats-Unis ne sont «pas contrôlés», explique à l’AFP Camille Habel, porte-parole de la Gendarmerie royale du Canada.
Franchir la frontière en situation irrégulière, souvent dans des zones boisées, assure aux nouveaux arrivants que leur demande d’asile sera examinée. Débordés par cette forte augmentation du nombre d’arrivants, les services frontaliers canadiens ont appelé l’armée en renfort la semaine dernière. Celle-ci a depuis érigé un, puis deux et finalement trois camps d’hébergement temporaire afin d’accueillir les centaines de demandeurs d’asile.
« Bouche-à-oreille »
Pour la police fédérale, le bouche-à-oreille pourrait en partie expliquer cet afflux soudain de demandeurs d’asile. «On nous a dit qu’il y a des informations dans les pays d’origine, sur le web, sur les réseaux sociaux, qui disent exactement comment faire… le processus d’immigration illégale est maintenant en ligne un peu partout», explique Camille Habel. En visite dans les camps, le ministre des Transports Marc Garneau a mis en garde contre la «désinformation» diffusée sur les réseaux sociaux. Et le Premier ministre Justin Trudeau de renchérir: «Permettez-moi d’être clair, (…) le fait d’entrer au Canada de façon irrégulière ne procure aucun avantage» par rapport au processus de demande d’asile habituel.
L’année dernière, le Canada a rejeté la moitié des demandes d’asile faites par des ressortissants haïtiens. Alors que les autorités peinent à suivre la cadence et tentent de décourager les nouveaux arrivants, certains groupuscules d’extrême droite utilisent cet afflux pour justifier un contrôle plus ferme des frontières. L’un de ces groupes a même récemment déployé une banderole arborant un message anti-immigration sur le stade olympique de Montréal, qui accueille temporairement des centaines de demandeurs d’asile.
Face à une situation en constante évolution, certains habitants de la région frontalière sont ambivalents. «A leur place, je ferais pareil si j’entendais dire que le Canada est une terre d’accueil», dit Ghislain, restaurateur à Lacolle depuis 11 ans. Mais «reste à savoir si l’on peut se permettre de tous les accueillir», tempère-t-il. Dans cette petite ville du Québec, l’incertitude règne, selon le restaurateur, qui a préféré ne pas donner son nom de famille. «Certains sont pour, d’autres sont contre».
Ghislain, lui, est «entre les deux, tant que nous n’avons pas plus d’informations sur le nombre de migrants qui vont rester et combien cela va nous coûter… Pour le moment, nous ne savons pas grand-chose».
Le Quotidien/AFP