Elles étaient dépassées, d’un autre âge à l’ère de l’instantané et du tout numérique, mais ils ont été une poignée à s’y accrocher et aujourd’hui, les publicités peintes sur les murs fleurissent à New York, plus tendance que jamais.
Il est 13 heures et, sous un soleil de plomb, Justin Odaffer appose la dernière touche à cette publicité pour la marque de lunettes Ray-Ban qu’il vient de passer plusieurs jours à peindre sur une façade de l’East Village. Depuis sept ans, il peint des réclames sur les murs de New York, Los Angeles ou Chicago pour Colossal, une entreprise devenue, en une petite dizaine d’années, la référence de la publicité peinte aux États-Unis. La pratique a toujours cours dans certaines régions du monde, notamment en Afrique, mais à New York, il fallait avoir la foi en 2004 pour se lancer sur ce marché qui n’en était même plus vraiment un.
«La technologie prenait le dessus et il n’y avait plus de besoin. Tout le monde s’en foutait», se souvient Paul Lindahl, co-fondateur de Colossal, basé dans le quartier hipster de Williamsburg, à Brooklyn. «C’était cher. C’était lent. Vous ne saviez jamais ce que vous auriez à l’arrivée», dit-il. «Je ne savais pas s’il y avait un avenir là-dedans. Je savais simplement que j’adorais ça.»
Treize ans plus tard, sa société compte 70 employés et réalise 450 à 500 publicités peintes par an dans six grandes villes américaines, en tournant à flux tendu. Afin de traiter directement avec les annonceurs ou les agences, Colossal a choisi de signer des baux à long terme et contrôle ainsi les quelque 200 emplacements qu’elle utilise, sans passer par un intermédiaire. Pour Justin, sans Colossal, la peinture murale publicitaire à New York «ne tiendrait plus qu’à un fil. Nous avons créé un revival.»
Une touche « branchée »
Aujourd’hui, s’offrir une publicité peinte est toujours plus cher et plus long que poser une affiche — 40 000 dollars en moyenne pour une peinture par Colossal, réalisée en moyenne en quatre jours, contre une heure au maximum pour le collage d’une affiche — mais les annonceurs y trouvent aussi une manière de se différencier. «Les gens sont étonnés», explique Justin. «C’est assez énorme pour un passant de voir (la fabrication) du produit. C’est pour ça que cette boîte tourne aussi bien: les gens peuvent voir le processus» de création.
Les réseaux sociaux servent de caisse de résonance, alimentés par des photos prises sur le vif, qui démultiplient la visibilité de la marque et de sa publicité, explique M. Lindahl. «C’est un produit unique que les annonceurs réclament, aujourd’hui», confirme Chris Cockerill, directeur général du bureau new-yorkais de Lamar, spécialiste de la location d’espaces publicitaires qui dispose à New York d’une vingtaine de murs peints et ne travaille pas avec Colossal.
Pour lui, ce renouveau tient pour partie à une montée en gamme, avec des peintres «plus accomplis». Le résultat «ressort mieux qu’avant», dit-il, avec une touche «branchée». Paul Lindahl y voit aussi la montée du «do-it-yourself» (faire soi-même) et un lien avec le street art, plus populaire que jamais. S’agit-il, d’ailleurs, d’une forme d’art, même si les peintres de Colossal concrétisent uniquement des visuels réalisés par les annonceurs?
«C’est de l’art», répond Justin, pour qui cela reste une réalisation adressée «au quartier et aux gens, même si c’est une publicité. C’est le même processus que d’autres formes de street art.» «Je ne pense pas que nous serions dans cette boîte si nous n’avions pas démarré tous d’une manière ou d’une autre dans le street art», appuie-t-il. «Ils font simplement leur boulot», considère le graffeur BG 183, membre du plus ancien collectif de New York encore en activité, le Tats Cru. «Je ne vois rien de mal à ça», dit-il, avouant d’ailleurs sans détours avoir déjà peint des visuels conçus par des annonceurs, sans rien y modifier.
Colossal vise 24 millions de dollars de chiffre d’affaires cette année. Mais la société a beau avoir le vent en poupe, M. Lindahl sait qu’il ne peut pas se permettre un jour sans. «Avec un produit fait main, vous ne pouvez jamais rien automatiser», souligne-t-il. «Si vous faites un sale boulot, vous foutez votre réputation en l’air. A chaque fois qu’on démarre (un mur), c’est comme si nous n’avions jamais rien fait avant.»
Le Quotidien/AFP