Sonia Ilieva est l’entraîneur de Bob Bertemes, qui explose en ce début d’année et qui sera demain en lice lors des qualifications du poids des championnats d’Europe à Prague.
Sonia Ilieva et Bob Bertemes se côtoient depuis près d’une dizaine d’années. Entre eux, il existe une confiance et un respect réciproque. (Photo : Julien Garroy)
Sonia Ilieva, bulgare également détentrice d’un passeport belge, a arrêté sa carrière de lanceuse de javelot à l’âge de 22 ans. En parallèle, elle a suivi des cours pour devenir entraîneur professionnel d’athlétisme. Passée par le lycée espagnol de Sofia, puis la Belgique, elle est depuis 2000 entraîneur fédéral des lancers au sein de la Fédération luxembourgeoise d’athlétisme. Lundi, elle a accepté de dévoiler une partie de son travail avec Bob Bertemes dans la salle de musculation de l’INS. Elle, dont le rêve en tant qu’entraîneur est de conduire un de ses athlètes aux JO, n’en a jamais été aussi proche.
> Comment vous êtes-vous retrouvée entraîneur de Bob ?
Sonia Ilieva : Bob avait une dizaine d’années. J’entraînais déjà son grand frère Max et sa mère me faisait confiance. Ses parents sont des anciens handballeurs et ils savaient bien que Bob allait devenir costaud. S’il n’était pas venu dans mon groupe, il aurait peut-être fait du saut en longueur mais impossible de savoir à quel niveau. Au début, il faisait du javelot mais il trouvait cela trop compliqué et a opté pour le poids, pensant que c’était moins technique.
> Et ce n’est pas le cas ?
Ah non! C’est une discipline extrêmement technique qui demande énormément de temps pour arriver au haut niveau. On voyait que Bob avait un vrai potentiel. J’avais besoin d’un véritable athlète. Et avec Bob, j’en ai trouvé un.
> Comment s’est passée votre première rencontre ?
Il est arrivé à l’entraînement avec les cheveux longs. Je l’ai regardé et je lui ai dit : « Si tu veux t’entraîner avec moi, reviens avec une coupe de garçon. » Le lendemain, il était allé chez le coiffeur. C’était une belle marque de respect.
> Vous dites qu’il faut énormément de temps pour permettre à un athlète d’atteindre le haut niveau. Combien exactement ?
C’est prouvé, il faut au moins trois ou quatre Olympiades pour y arriver. Évidemment, on peut aller plus vite, mais ça ne vaut pas le coup. Si, au lieu de lui donner trois séances de musculation, il en fait six par semaine, il va peut-être lancer 20,50 m ou même 20,80 m. Mais au bout d’un ou deux ans, il explosera car sa technique ne se sera pas adaptée à son physique… et après, crash total ! Il a 21 ans, on dit qu’on atteint son sommet en tant que lanceur vers 26-27 ans, donc pour Tokyo, il sera bien !
> On a l’impression que vous ne laissez rien au hasard ?
Absolument. Je travaille à partir des systèmes des pays de l’Est. Tout est pris en compte, tout est calculé. On sait également quels paramètres un athlète doit remplir à 14 ans, à 15 ans… Moi, je ne connais pas d’autre façon de travailler. Je sais exactement la charge annuelle en musculation qu’il doit soulever, le nombre de kilomètres qu’il doit courir, le nombre d’exercices d’explosivité qu’il doit faire, le nombre de sauts. Tout, tout, tout!
> Vous pouvez nous donner un exemple ?
En février, il a soulevé 250 tonnes, à raison de 22 tonnes par séance et trois séances par semaine. En hiver, on travaille plus le physique, avec des poids plus lourds, histoire d’avoir de bonnes bases pour l’été. Et l’été, on axe davantage le travail sur l’explosivité, les sprints, les sauts. Tout en essayant de garder cette force. Tout cela permet normalement au poids de partir mieux. Même si on ne peut pas dire quelle sera la différence par rapport aux lancers hivernaux.
> Et en plus de la musculation, il y a donc d’autres exercices ?
Oui. Bob a 21 ans, il doit travailler beaucoup mentalement et écouter son corps. Le développement physiologique se poursuit jusqu’à 24-25 ans. J’ai donc encore quelques années pour lui faire travailler et peaufiner sa technique. Il ne faut absolument pas la zapper. Ensuite, il ne restera plus qu’à travailler le physique. Mais d’ici-là, on doit bosser tous les détails. Si on compare avec les autres lanceurs, Bob n’est pas très fort physiquement. C’est quelqu’un de très travailleur, discipliné et respectueux. Mais il a une énorme qualité : il est super explosif. Il pourrait être champion d’Europe d’explosivité.
> Comment cela ?
Il est capable d’enchaîner dix sauts au-dessus de haies de 107 cm comme un kangourou, c’est très impressionnant. Il peut aussi lancer un poids de 7 kg en arrière à 22 m. Et pour ça, il faut avoir des jambes !
> À ce rythme, les 21 m sont pour bientôt ?
Non. Tout cela prend du temps. Bob a les pieds sur terre – de toute façon avec moi, il n’a pas le choix – et il sait que pour le moment, c’est impossible. Tous ses tests montrent qu’il n’est pas prêt pour 21 m. Pour faire 20 m en compétition, il faut lancer régulièrement à 19,50 m. Et pour y arriver, il faut faire 210 kg au développé-couché. Storl, l’Allemand, soulève 280 kg. Il y a donc encore du travail! Mais on fait des tests tous les mois. Ils permettent non seulement à Bob de voir qu’il progresse, ça lui donne confiance. Et pour moi, cela me donne des indications sur ce sur quoi il faut mettre l’accent à l’entraînement.
> Depuis le début de l’année, Bob a littéralement explosé. Êtes-vous surprise ?
Non. L’année dernière, il a fait 19,36 en Forêt-Noire au mois de juillet. L’hiver précédent, il avait commencé à travailler beaucoup de détails techniques. Il fallait que le corps s’adapte. Il a super bien travaillé techniquement, et à la première compétition, il lance seulement à 17,01 m. Mais on a analysé, amélioré au fil des semaines et en juillet il fait 19,36 m. Là, je lui ai dit stop. La saison avait été longue. Je lui ai dit de partir en vacances. J’ai besoin qu’il ait faim! Cet hiver, il est bien. Tranquille. Et il prend du plaisir dans ce qu’il fait. Il sait qu’il est encore très jeune et que les dinosaures de la discipline vont progressivement arrêter, alors que lui est en train d’arriver. Tout cela est très motivant. Et c’est aussi pour cela que l’objectif ce ne sont ni ces championnats d’Europe ni les championnats du monde en Chine, même si on espère y aller. Non, le but, c’est d’être bon à Tallinn, aux championnats d’Europe U23. On espère une finale et un bon classement. Ce serait une belle récompense pour tous les sacrifices concédés depuis huit ou neuf ans.
> Et Prague ?
C’est une bonne compétition pour prendre de l’expérience et côtoyer les meilleurs. L’an passé, on était en stage au Portugal avec l’équipe d’Allemagne et Bob a constaté qu’il n’y avait pas de différence entre ce qu’il faisait et ce que faisait David Storl, le double champion du monde. Tout cela lui donne confiance et lui montre qu’il est sur le bon chemin. Il aura trois essais pour tenter de passer en finale. S’il le fait, c’est super, sinon ce n’est pas grave. On a des projets à long terme avec Bob.
> Vous parlez des JO, votre rêve ?
Maintenant, je deviens gourmande et j’ai d’autres rêves. Si tout va bien, Bob va aller à Rio et, pourquoi pas en finale? Aujourd’hui, il y a trois hommes qui lancent au-delà de 21 m : deux Américains et Storl. Tous les autres se bagarrent entre 20 et 21 m. Dans les grandes compétitions, tout le monde est au top et parfaitement préparé. Ce qui fera la différence, ce sera le mental. Et Bob est très fort sur ce plan. Et peu importe qui se trouve face à lui, il n’a pas peur de la concurrence.
> Qu’est-ce qu’il a à envier aux Allemands ou aux Français ?
Rien. Bob est dans de super infrastructures. Il est très bien encadré. Il a avec lui deux kinés, Alexander Annen et Felipe Cordero, un ostéopathe (Fabrice Michotte) et un psychologue (Alioune Touré). On a même eu du mal à trouver des kinés qui voulaient bien s’occuper de lui car il a besoin au moins une fois par semaine d’une heure de massage. Les deux se relaient : l’un fait la partie basse pendant une demi-heure et l’autre vient après et s’occupe de la partie haute du corps. Si Bob est en train de faire ce qu’il fait, c’est parce qu’il a une équipe autour de lui. Tout son staff mais également le ministère des Sports, l’armée, la fédération, le COSL. Chacun est une pièce d’un puzzle qui fait que Bob est Bob.
> Et tout cela peut vous amener jusqu’à Rio ?
Bien sûr! On va travailler pour ça. Et si je pensais qu’on n’a aucune chance d’y aller, je ne serais plus motivée. Il aura 22 ans et ce serait une super expérience pour lui. On ne connaît pas encore la norme mais même si c’est 20,45 m, il n’est pas si loin. Il y a quatre ans, j’avais annoncé qu’on irait à Rio avec Bob. Tout le monde riait. Maintenant, je pense qu’ils vont commencer à nous prendre au sérieux !
De notre journaliste Romain Haas