Plusieurs hébergeurs de données français, opposés au projet de loi sur le renseignement prévoyant des « boîtes noires » pour épier les communications chez les intermédiaires techniques, menacent de délocaliser leurs activités. Le Luxembourg est l’une des destinations envisagées.
Avec la mise en place d’appareils de contrôle directement chez les opérateurs télécoms, les hébergeurs et les grandes plateformes internet, « ce projet va, par certains aspects, plus loin que ce que l’on a pu reprocher aux États-Unis avec le Patriot Act », tance Emile Heitor, directeur technique de l’hébergeur NBS System, implanté à Paris et à Londres.
OVH, Gandi, IDS, Lomaco et Ikoula, qui font partie des principaux hébergeurs tricolores, ont indiqué dans une pétition commune que si le texte était voté sans amendement, ils se verraient contraints de déplacer une grande partie de leur infrastructures à l’étranger.
Parmi les raisons invoquées, le coût du déploiement des « boîtes noires », les risques de ralentissement et de piratage, la nature de l’entité chargée de récupérer les données, et l’absence de garde-fous contre tout abus de pouvoir futur. Surtout, beaucoup doutent clairement de la capacité réelle de ce dispositif à être efficace dans la lutte anti-terroriste, principal argument avancé par les porteurs du projet de loi.
Vers les pays frontaliers
« C’est Monsieur et Madame Tout-le-monde qui seront touchés, car ceux qui sont normalement concernés par cette loi chiffrent déjà leurs communications », alerte le président et fondateur d’Ikoula, Jules-Henri Gavetti. Les hébergeurs se disent prêts à mettre leurs menaces à exécution, soucieux de pouvoir poursuivre leur développement. « L’adoption de cette loi telle quelle entraînerait un départ de 30% ou 40% de notre activité hors de France, et dans ce cas on suivra nos clients », prévient Jules-Henri Gavetti.
Vers quelles contrées cette migration forcée pourrait-elle s’effectuer en priorité ? « Le Luxembourg, l’Allemagne, la Belgique, en clair les pays frontaliers qui n’ont pas de loi similaire », répond-t-il. « On héberge actuellement 99% de nos infrastructures en France, comme la plupart des signataires de la pétition », rappelle Jules-Henri Gavetti. Pour Laurent Allard, PDG d’OVH, qui se revendique leader de l’hébergement en Europe, la controverse actuelle découle « d’un véritable débat de société et non pas de la protection d’une corporation ».
« L’État utilise des moyens disproportionnés par rapport à son but affiché, mais les gros acteurs comme OVH qui manifestent leur mécontentement ne partiront pas. Des écoutes, il y en a toujours eu. La véritable question, c’est l’encadrement des services de renseignement en cas de dérives », relativise de son côté Jean-François Beuze, président de la société de conseil informatique Sifaris.
Le Quotidien Web (avec AFP)