« Nous avons perdu l’espoir, nous vivons dans l’angoisse » : pendant les discussions sans fin à Bruxelles sur de nouvelles mesures d’austérité pour son pays, Ermolaos Linardos, enseignant grec retraité, se désespère de ne plus pouvoir aider ses enfants financièrement.
Il a subi ces dernières années plusieurs baisses de sa pension. Jusqu’alors il aidait son fils, père de cinq enfants, et employé à maigre salaire, qui a dû récemment vendre la voiture familiale pour payer ses impôts. « Avant la crise je pouvais l’aider mais ma retraite a baissé de 35% et c’est difficile maintenant. Qu’est-ce qu’un grand-père qui ne peut plus aider ses petits-enfants ? », se lamente le septuagénaire.
Secrétaire général de la Fédération des retraités du public, Ermolaos Linardos a participé à de nombreuses manifestations récemment contre de nouvelles coupes dictées par les créanciers du pays, en échange du déboursement au compte-gouttes de sommes servant surtout à payer les dettes précédentes à ces mêmes créanciers, le FMI ou la BCE. Dimos Koumpouris, président de la Fédération des retraités du privé, assure pour sa part que sa retraite a dégringolé « de 33 000 à 16 000 euros » avec la crise, après 40 ans dans la sidérurgie.
Le Parlement grec a encore adopté vendredi des mesures comme le gel des retraites jusqu’à 2022 ou la restriction des droits des travailleurs du secteur privé.
Réfléchir à deux fois pour des chaussures
Le dernier débat en cours dépasse le pays et paralyse la discussion sur l’allègement de l’énorme dette grecque (179% du PIB). Il porte sur la participation du FMI au plan d’aide européen. Si les discussions n’aboutissent pas, le versement d’un prochain prêt destiné à rembourser sept milliards d’euros en juillet s’en trouverait menacé. Ce sera l’enjeu d’une réunion de l’Eurogroupe jeudi à Luxembourg.
Dimitris Voutsinos, 40 ans, technicien du son limogé en 2009 d’une radio, travaille depuis essentiellement dans des centres d’appels. Pour lui aussi, et pour sa femme lituanienne Alma, au chômage, la retraite de 750 euros de sa mère octogénaire handicapée est « un moyen de subsistance ». Le taux de chômage en Grèce reste le plus élevé de la zone euro, à 22,5% en mars. « On ne s’en sort pas sans son aide, et elle se prive d’un assistant médical », regrette Dimitris, qui habite à Athènes un appartement face à celui de sa mère pour pouvoir l’aider.
« Nous ne pouvons rien programmer pour avancer un peu, penser par exemple à avoir un enfant », ajoute Dimitris. Avec la crise, le taux de fécondité en Grèce est actuellement l’un des plus bas en Europe à (1,30), selon l’institut Eurostat.
« Nous nous limitons aux besoins de base, nous ne partons plus en vacances, nous réfléchissons à deux fois pour acheter des chaussures, il faut qu’elles aillent en toute saison ». Alma, graphiste de profession, voudrait qu’ils aillent en Lituanie où elle espère trouver du travail plus facilement. Mais Dimitris s’inquiète pour sa mère : « Comment la laisser toute seule ? »
Sentiment de dépendance
Environ 427 000 Grecs de 15 à 64 ans ont quitté la Grèce pour travailler à l’étranger depuis 2010, selon une enquête de la Banque de Grèce. C’est selon cette étude « la troisième plus grande vague » d’exode de l’histoire contemporaine du pays, après celles du début du XXe siècle et des années 50-60.
Mais pour Yannis Gkiastas, psychologue, il y a aussi une tendance accrue à « se renfermer sur la famille car les gens n’ont plus confiance dans la société, faute aussi d’un État social capable de prendre soin de ses citoyens ». Avec la crise, les prestations sociales et de santé, de tout temps médiocres en Grèce, ont encore empiré.
« Le soutien financier de la famille crée souvent un sentiment de dépendance, qui prive les enfants d’autonomie, les culpabilise en les empêchant de s’éloigner », analyse Yannis Gkiastas. Il cite le cas de jeunes qui auraient la possibilité financière de partir en vacances ou quitter le foyer familial mais qui « se sentent coupables de laisser leur mère ou leur sœur seules face à leurs propres problèmes ».
Le Quotidien/AFP