À la tête de sa compagnie depuis 2016, Nicolas Zemmour mélange danse et philosophie dans des créations ouvertes et ambitieuses. Preuve en est avec La Brisure des vases, produite par les Théâtres de la Ville de Luxembourg.
Danseur du ballet Preljocaj (2009- 2015), il a aussi posé ses pas dans ceux du Bolshoï et de Pina Bausch. Nicolas Zemmour œuvre aujourd’hui sous son propre nom, mais sans s’isoler, bien au contraire. Pour cette nouvelle création, dans un esprit de partage, il convoque le public et les professionnels afin de faire avancer ses idées à traversdes ateliers, rencontres et autres répétitions. Mieux, il ouvre les portes de sa compagnie à des artistes du cru, comme ici au Luxembourg, avec la participation de la danseuse Annick Schadeck et de l’acteur Francesco Mormino.
On l’avait vu, brièvement, lors de la présentation de la saison au Grand Théâtre, il y a de cela un an. Seul en scène, imposant son gabarit de gymnaste et la finesse d’un jeu trahissant des racines classiques, Nicolas Zemmour donnait clairement de sa personne. «Pour moi, la danse est technique, fatigante, précise-t-il, justifiant ses folles contorsions. Je ne suis pas une démarche moderne, conceptuelle. J’essaye plutôt de remettre à jour le goût de la performance physique», note celui pour qui les termes «transpirer» et «transporter» avancent de pair.
Alors qu’il opérait au sein du ballet Preljocaj depuis 2009 – «je buvais son apprentissage» – et se formait parallèlement à la technique et philosophie de Pina Bausch et son mentor, Kurt Jooss, sans oublier ses incursions au Bolshoï, le garçon a décidé de mettre sur pied sa compagnie, histoire de ne pas être «un simple instrument» au service de la danse. Un conseil de son père Marc, docteur ès lettres et dramaturge de cette nouvelle création, la cinquième à mettre à l’actif de Nicolas Zemmour.
Combattre l’entre-soi
«Il m’a toujours dit : « C’est bête de laisser son cerveau de côté! », explique-t-il. Oui, ce qui m’importe le plus, c’est la créativité. J’ai toujours eu cette envie, en moi, de chorégraphier mes propres petites choses, de réfléchir aux mouvements des corps…» Ainsi, alors que le Zemmourballet n’a qu’une petite année d’existence derrière lui, son pygmalion reconnaît faire des pièces depuis 2013. D’où le «coup de cœur» pour son travail de Tom Leick-Burns, directeur des Théâtres de la Ville de Luxembourg qui produisent d’ailleurs à «95 %» La Brisure des vases.
Une belle et sacrée opportunité qui prend forme depuis une longue année, à travers des étapes françaises (Quimper, Aix-en-Provence, Marseille et Avignon) durant lesquelles la pièce s’affine et se remet en question. Car Nicolas Zemmour n’apprécie pas l’entre-soi, préférant parler de «création globale», «hybride» même. «C’est notre spectacle!», martèle-t-il lorsqu’il évoque le collectif international qui l’entoure, composé d’artistes de sa compagnie et de la Grande Région. Ainsi, on y trouve même la danseuse luxembourgeoise Annick Schadeck.
«Je la connaissais juste de visage, car elle a fait un petit passage chez Preljocaj. C’est une danseuse formidable, de très haut niveau», commente-t-il joyeusement. Autre tête connue du Grand-Duché, le comédien Francesco Mormino, régulier du Centaure, qui, en dehors de lire des textes, aura une «présence dansée tout au long du spectacle». «C’est tout nouveau pour lui, affirme le chorégraphe. Mais il se débrouille très bien.» Une enthousiasmante ouverture qui se caractérise aussi par une activité régulièrement ouverte au public et aux professionnels, à travers des ateliers, rencontres et répétitions. Il détaille alors son drôle d’emploi du temps…
«Beau comme un océan, un horizon»…
«Le matin, ce sont les cours, ouverts aux gens gratuitement. L’après-midi, place à la création, et, en fin de journée, on se consacre à une heure d’étude, avec des intervenants comme un philosophe, un psychiatre… Par ce biais, on étudie le thème du spectacle pour que chacun puisse intégrer son personnage, ses mouvements… Dans ce sens, chacun apporte sa touche et ça nuance ce que j’ai fait.» Même son de cloche concernant les conseils d’intervenants extérieurs, curieux de passage comme chorégraphes rodés. «Souvent, les retours sont constructifs, enrichissants. À mes yeux, avoir du renouveau, de la fraîcheur, c’est essentiel.»
Un principe que Nicolas Zemmour pousse à l’extrême puisque cette fenêtre créative restera ouverte jusqu’à jeudi, jour de la première – et unique, pour l’instant – représentation de La Brisure des vases. «Et ça, peu de compagnies le font», lâche-t-il. Dans cette pièce pour cinq danseurs et un comédien, il reprend l’idée d’un philosophe du XVIesiècle, Isaac Louria, selon laquelle, pour que la création advienne, il faut nécessairement qu’il y ait du vide. Ce que ferait également un potier en fabriquant un vase avec un bloc de terre…
Il s’explique : «Fabriquer du vide est nécessaire pour la créativité et l’avancement de l’être, en amour comme dans la spiritualité.» Mais chez lui, point de démonstration intellectuelle… «Je ne donne pas une leçon. Je n’ai pas envie qu’on sorte du spectacle en se disant : « J’ai tout compris ». Ça me rendrait triste.» Lui se voit comme un vecteur d’émotions à travers une pièce aux élans poétiques, mettant «en résonnance les corps et le spectateur». «J’ai envie qu’il se dise que c’est beau, comme devant une montagne, un horizon, un océan… J’ai envie qu’il en ressorte émerveillé, comme dans un conte…»
Grégory Cimatti
Grand Théâtre – Luxembourg. Jeudi à 20 h.
L’équipe artistique donne rendez- vous au public pour une rencontre après la représentation.