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[BD] « Une sœur », de Bastien Vivès : la naissance du désir adolescent


"Avec un frère ou une sœur, on est en terrain connu, on se sent bien", estime Bastien Vivès. (photo DR)

Bastien Vivès, éternel jeune prodige de la BD française, revient en librairie avec « Une sœur » (chez Casterman), un nouvel album magnifique et prenant sur le désir adolescent.

Antoine a 13 ans. Il passe les vacances d’été à la plage, avec ses parents et son petit frère, Titi. Un matin au réveil, les deux enfants découvrent dans leur chambre une adolescente en train de dormir. C’est Hélène, la fille d’une amie des parents. Elle a 16 ans. En pleine adolescence, elle est un peu rebelle, un peu perdue. Elle passera une semaine là, avec sa mère. Une semaine qui sera, pour Antoine, celle du désir et des découvertes. Un album magnifique que présente son auteur.

On attendait votre retour en solo depuis Polina, sorti il y a six ans. Voici Une sœur. Dans votre biographie, on peut lire que vous avez un frère cadet, mais il n’y a pas de trace de sœur. C’est un fantasme ?

Bastien Vivès : Il n’y en a pas. C’est pour ça aussi que j’ai fait ce livre. S’il y en avait une, elle m’aurait déjà étranglé. Cela dit, j’aurais bien aimé avoir une grande sœur, ça m’aurait peut-être évité quelques écueils durant l’adolescence. J’ai tellement galéré avec les filles, ça a été tellement une source de questionnements… Une grande sœur, ça aurait pu m’aider.

Comment sont nés ces deux personnages, Antoine et Hélène ?

Je voulais écrire un récit sur la fratrie, avec un garçon de 13 ans et un autre de 9, pour raconter, par exemple, le fait que je dessinais avec mon frère quand j’étais petit. Ce n’est pas du tout un livre autobiographique, mais je voulais retrouver un peu cette ambiance de l’enfance. Après, j’ai eu l’idée de dynamiter un peu tout ça avec l’arrivée d’une fille, sur qui repose, finalement, la force de l’album. J’ai donc bien peaufiné le personnage.

Alors qu’au départ les parents craignent l’affrontement ou du moins le désintérêt de l’un envers l’autre, les deux vont rapidement très bien s’entendre, comme frère et sœur. Et, rapidement, les hormones vont s’en mêler. On peut résumer ça comme ça ?

Oui. Mais ce qui me plaît dans l’histoire, c’est que, malgré les hormones qui s’en mêlent, ils s’entendent bien, justement parce qu’il y a ce climat-là. Avec un frère ou une sœur, on est en terrain connu, on se sent bien. La mère d’Hélène vient de faire une fausse couche et les deux jeunes vont commencer à parler quand Antoine va lui révéler que sa mère aussi en avait fait une avant sa naissance.

On ne va pas tout dévoiler, mais leur relation frère-sœur est un peu incestueuse.

Tout à fait. Si on commence à parler un peu de sexe, il faut qu’il y ait un peu d’interdit. On est dans une relation fantasmée. Moi, je me dis que si j’avais eu une grande sœur, j’aurais voulu lui tripoter les seins et elle m’aurait laissé faire. On peut s’imaginer plein de choses, on n’est pas dans la réalité.

Il n’est ici question ni d’amour ni de sexualité, mais plus de la naissance du désir.

Exactement. Quand Antoine voit les seins d’Hélène, il ne se dit pas : « waouh, elle a de super beaux seins ! », il se dit juste : « waouh, je vois des seins ! » C’est une première pour lui. Il va tout découvrir avec elle. Mais quand Hélène embrasse un autre garçon, ce n’est pas une trahison. Ils ne sortent pas ensemble. Même s’ils ont un peu fricoté, ils ne sont pas amoureux.

Antoine fait quand même un peu la gueule à ce moment-là.

Oui, parce que ça lui rappelle que c’est une adolescente, alors que lui est encore un petit garçon.

Si le désir du jeune homme transpire magnifiquement à travers de petites choses, un gros plan sur la minijupe qu’Hélène porte un soir, un autre sur l’érection qu’il ne peut cacher quand ils prennent une douche ensemble, celui d’Hélène est plus difficile à percevoir. C’est parce que le désir féminin est moins visuel ou c’est le fait que vous soyez un homme qui veut ça ?

Les deux. Et puis aussi parce que Hélène est déjà formée sexuellement. Antoine découvre, elle, c’est autre chose qu’elle cherche avec lui. Hélène ne tripe pas du tout sur le corps d’Antoine, et c’est normal, puisque c’est un garçon de 13 ans. Ce qu’elle aime, c’est le fait de le déniaiser.

Oui, on ne sait si c’est pour combler un manque dont on ignore tout ou juste une sorte de jeu, un « cap, pas cap ».

Il y a un peu de ça. Il lui manque un compagnon, le père aussi; et même sa mère, elle n’en parle jamais. Elle est dans le moment difficile de l’adolescence où on se sent seul.

Autre personnage important, le petit frère d’Antoine, Titi, grand chasseur de crabes et dessinateur de Pokémon. Que vient-il faire là ?

Titi est toujours là pour ramener Antoine dans l’enfance. Pour rappeler que c’est chouette aussi d’être enfant. Quand, ado, ça n’allait pas trop bien, je me réfugiais souvent dans le monde de mon petit frère. C’est quelque chose de très spécifique de la relation fraternelle ça, qu’on n’a pas avec des amis.

Comme pour Polina, vous faites ici le choix du noir et blanc. Et même d’une certaine économie de traits. Pourquoi ?

Parce que le sujet le demande. Ça se passe pendant les vacances, il fait beau, tout est calme et agréable. C’est pour ça que je propose un dessin léger, proche du croquis. Et puis, ça reste des ados, c’est un peu mou. Si j’avais fait une BD sur le body-building, je n’aurais pas dessiné les personnages de la même manière. Enfin, ce trait m’a beaucoup aidé, pour les scènes de sexe, comme ça je dessinais juste des silhouettes sans avoir à entrer dans des détails anatomiques. Je ne voulais pas faire de la bidoche.

Polina est devenu un film. Ça fait quoi de revoir son histoire retravaillée par quelqu’un d’autre et portée à l’écran ?

C’est rigolo. J’ai adoré Anastasia Shevtsova qui tient le rôle principal. J’aurais aimé que ça dépasse le côté film de danse, mais j’ai trouvé l’adaptation assez chouette.

Cette histoire-ci a aussi un grand potentiel cinématographique. Le communiqué de presse – qui est d’ailleurs réalisé comme une affiche de ciné – dit de vous que vous dessinez comme un cinéaste. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Je n’ai pas appris à faire de la BD en lisant Astérix, mais dans une école d’animation. Dans mes récits, mes cadrages, cette approche cinématographique est restée. Je dis toujours, de manière affective, que mes BD sont mon petit cinéma du pauvre. En BD, on a une énorme liberté, qu’il n’y a plus trop dans le cinéma, et donc je m’éclate !

Entretien avec Pablo Chimienti

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