Du jour au lendemain, l’acteur arabe israélien Hisham Souleiman est passé du quasi-anonymat à la célébrité: il dit ne plus faire un pas sans qu’on lui crie « Abou Ahmad ! », le nom du responsable militaire du mouvement islamiste palestinien Hamas qu’il incarne au petit écran dans « Fauda ».
Ce trentenaire volubile au doux regard bleu-gris et à la carrière jusqu’alors atone joue dans l’un des plus gros succès télévisés de ces dernières années en Israël.
Acheté par Netflix fin 2016, « Fauda » (chaos en arabe) met brutalement en scène le conflit israélo-palestinien: la lutte à mort entre une unité d’agents israéliens infiltrés et un chef militaire du Hamas en fuite.
Doron, un ancien de cette unité antiterroriste de l’ombre dont les éléments se fondent dans la communauté palestinienne, est brutalement arraché à sa paisible vie familiale par son ex-chef: le responsable du Hamas, auteur de multiples attentats suicide ayant coûté la vie à plus d’une centaine d’Israéliens et qu’il pensait avoir tué, n’est pas mort et Doron doit « finir le boulot ».
Les 12 épisodes de la série restituent la longue course poursuite qui s’ensuit, plongée au coeur d’une réalité méticuleusement dépeinte vécue au quotidien par Israéliens et Palestiniens: contraintes de sécurité omniprésentes, attentats, opérations nocturnes de l’armée dans les zones palestiniennes…
Avec sa diffusion dans le monde entier sur Netflix (à l’exception de quelques pays dont la France), la série est devenue populaire hors d’Israël après avoir fait le tour de nombreux festivals internationaux et s’être attiré les louanges de l’auteur américain Stephen King. Et une deuxième saison est en préparation.
Tournée pour les deux tiers en arabe et jouée par des acteurs israéliens juifs et arabes, « Fauda » a été récompensée en 2016 par six prix Ophir, dont celui de la meilleure série dramatique, par l’Académie israélienne du film et de la TV.
Le journaliste israélien Avi Issacharoff, co-auteur de « Fauda », a été le premier surpris par son succès. La série est née d’une discussion avec un de ses amis acteurs et ancien membre d’une unité infiltrée, Lior Raz, qui joue Doron.
« Au début, tout le monde nous a dit +non+ car c’était trop cher, à cause des nombreuses scènes d’action, et parce que le sujet fatigue tout le monde ici », explique-t-il.
La force de la série réside dans son réalisme et son parti pris de donner une dimension humaine à tous les personnages, du côté israélien ou palestinien. Même si, comme le souligne Avi Issacharoff, « Fauda » a avant tout été écrite pour le public israélien et que les hommes du Hamas restent les « méchants ».
« La façon dont les scénaristes ont illustré le conflit est très juste, honnête et nuancée: des deux côtés, on voit des personnages imparfaits, dotés de capacités de raisonnement, de sentiments », souligne le critique Einav Schiff.
Dans un épisode, Amal, jeune Palestinienne dont le fiancé a été tué de sang-froid durant leur cérémonie de mariage par l’unité israélienne, décide de le venger en plaçant une bombe dans le bar israélien où travaille la petite amie d’un des infiltrés.
Installée au bar, tenant fébrilement le sac contenant la bombe, elle hésite, semble chanceler devant la gentillesse de la serveuse israélienne (la petite amie), qui lui demande si « quelque chose ne va pas ».
Enième attentat ou moment furtif de complicité entre deux femmes que tout sépare? La série brouille la grille de lecture traditionnelle du public israélien, d’autant plus que les deux tiers des épisodes ont été tournés dans le dialecte palestinien impeccablement utilisé, ce qui en fait la première série télévisée bilingue jamais produite en Israël, souligne Einav Schiff.
« Nous avons essayé de montrer les deux côtés de l’histoire (…). Nous voulions montrer que même les méchants sont très différents de ce que l’Israélien moyen a en tête », souligne Avi Issacharoff.
Pari réussi, selon l’acteur Hisham Souleiman, habitant de Nazareth qui, comme la grande majorité des Arabes israéliens (les descendants des Palestiniens restés sur leurs terres à la création d’Israël), se définit comme Palestinien.
Il se dit reconnaissant au metteur en scène de l’avoir laissé joué le personnage d’Abou Ahmad autrement que sous l’aspect convenu d’un membre du Hamas « violent et macho ». Et raconte être submergé de messages de fans de tous les horizons, « juifs, arabes chrétiens et musulmans, gens de gauche et de droite, même des colons de Kyriat Arba », colonie israélienne en Cisjordanie occupée.
Selon lui, le « brouillage des cartes » opéré par « Fauda » est le signe encourageant que le conflit n’est peut-être pas aussi insoluble qu’il y paraît.
Avi Issacharoff, lui, croit au moins à une salutaire distanciation qui permet aux Israéliens et aux Palestiniens d’observer « de manière plus détachée » la réalité dans laquelle ils sont profondément impliqués. « Fauda est une sorte de catharsis pour les uns et les autres ».
Le Quotidien / AFP