Pendant que d’autres aspirants à l’Everest montaient en avril au camp de base au pied de la montagne, Brooks Entwistle préparait tranquillement à Singapour le 13e anniversaire de sa fille et l’assemblée générale de son entreprise. En se glissant toutefois la nuit, chez lui, dans une tente raréfiant l’oxygène.
Plutôt que de dormir dans son lit, cet associé du fonds d’investissement Everstone a, pour préparer son ascension, recouru à cette tente recréant les conditions atmosphériques en très haute altitude. Il a désormais rejoint les flancs de l’Everest et espère atteindre le toit de la Terre en seulement 35 jours, soit moitié moins de temps que n’en requiert une ascension traditionnelle.
Pendant des décennies, monter au sommet de l’Everest a nécessité de passer au moins deux mois en montagne. D’ordinaire, les alpinistes effectuent des navettes entre plusieurs campements (côté népalais, un campement de base à 5.364 mètres d’altitude puis quatre plus hauts), placés à différents paliers, pour conditionner leur organisme à un environnement pauvre en oxygène.
Mais la pré-acclimatation, qui restait marginale dans la communauté des alpinistes, gagne du terrain depuis quelques années.
Le sujet divise le petit monde de la montagne, entre ceux qui y voient un outil de l’alpinisme moderne et les puristes qui la dénoncent comme une facilité dangereuse.
De plus en plus de compagnies de guides offrent maintenant des forfaits « ascension rapide », qui permettent à leurs clients de commencer leur préparation dans une tente chez eux avant de boucler l’ascension de l’Everest en seulement quelques semaines.
Cette année, outre Brooks Entwistle, des grimpeurs d’au moins deux autres expéditions s’attaquent aux flancs de l’Everest en s’étant préparés dans des tentes hypoxiques de pré-acclimatation.
Un gain de temps qui a toutefois un prix conséquent: ils ont dû débourser entre 75.000 et 85.000 euros chacun, soit le double du prix d’entrée pour la méthode traditionnelle.
Les partisans de la pré-acclimatation mettent en avant que passer moins de temps en montagne réduit les risques de gelures, d’accidents et l’extrême perte de poids associés à l’alpinisme en très haute altitude.
« Les gens sont en fait en bien meilleure forme pour la montée car ils ne passent pas autant de temps en montagne », explique Adrian Ballinger, d’Alpenglow Expeditions, qui a commencé à expérimenter les tentes en 2011.
En 2014, Brooks, le financier de Singapour, avait réussi à obtenir un rare congé de neuf mois. Il s’était dirigé vers l’Everest début avril pour commencer à s’acclimater, avec un assaut vers le sommet prévu pour mi-mai. Mais son programme a été bouleversé par une avalanche meurtrière qui a tué 16 guides Sherpas et mis prématurément fin à la saison de printemps.
« Je n’ai plus ce temps maintenant. Il me serait impossible de monter l’Everest sans cette méthode » de pré-acclimatation, raconte-t-il.
Nouvel outil ?
Les tentes hypoxiques sont une technique utilisée de longue date par les athlètes de haut niveau pour développer leurs capacités respiratoires en augmentant la concentration de globules rouges dans leur sang.
L’injection de nitrogène dans cet espace hermétique conduit à réduire la présence d’oxygène à des niveaux équivalents à ceux de la haute altitude.
« Les alpinistes ont utilisé les technologies de l’époque au maximum de leurs possibilités, que ce soit pour les communications ou l’entraînement. Aujourd’hui, l’entraînement hypoxique est l’un de ces outils », estime Adrian Ballinger, qui emmènera Brooks Entwistle et un autre client sur l’Everest depuis le versant tibétain au nord.
Le guide requiert de ses alpinistes en forfait « ascension rapide » d’avoir déjà conquis au moins l’un des quatorze sommets du monde de plus de 8.000 mètres.
Une entreprise compte même aller plus loin: l’autrichienne Furtenbach Adventure proposera l’an prochain un « Everest éclair » qui promet de toucher la cime en moins de quatre semaines, grâce aux tentes hypoxiques et à davantage d’oxygène en bouteille durant la montée.
Pour le vétéran d’expédition Simon Lowe, un farouche détracteur de la pré-acclimatation qui croit dur comme fer à la méthode traditionnelle, tout cela relève du « charlatanisme ». La pré-acclimatation « est l’inverse de ce qui, d’expérience, fonctionne », dit-il. Il estime que les opérateurs arrivent à ces performances uniquement en fournissant beaucoup plus de bouteilles d’oxygène à leurs grimpeurs.
Cela requiert en outre des Sherpas qu’ils effectuent plus de courses risquées pour aller déposer les bouteilles au préalable sur le parcours, dénonce-t-il. Et davantage de déchets viennent polluer les flancs de cette montagne très fréquentée.
« Si vous étendez cela à tout le monde, ce sera un désastre. (Les marcheurs pré-acclimatés) n’auront pas la flexibilité pour répondre à l’Everest et à sa météo et prendront des risques qui mettront tout le monde en danger », met en garde M. Lowe.
Son scepticisme n’est pas partagé par tout le monde. Ainsi l’alpiniste américain Kent Stewart compte bien, en se pré-acclimatant auparavant, boucler avec l’Everest son tour des « Sept sommets », qui consiste à dompter la cime de chaque continent du globe.
« Vous mangez et dormez à la maison et n’êtes pas exposé aux dangers de la montagne », estime-t-il.
Le Quotidien / AFP