Prix Pulitzer pour Les Heures en 1999, l’Américain Michael Cunningham est de retour avec Snow Queen. Un texte superbe et déchirant sur l’amour, la drogue, l’art ou encore la transcendance…
Dans Central Park à New York, un soir de novembre, une illumination cosmique apparaît à Barrett Meeks. Cela pourrait évoquer un instant de beauté définitive. Mais dans cette lumière, il voit son frère Tyler (accro à l’héroïne et musicien en quête de reconnaissance), sa fiancée Beth (qui se meurt d’un cancer) et Liz (la cougar qui tient un magasin de fringues où il travaille). Immanquablement, cette illumination va le ramener à lui-même…
Barrett a fait de belles études à Yale mais vit de petits boulots et cumule les amants. Pour ne pas toucher le fond du fond, il va trouver refuge chez son frère et sa fiancée… C’est Snow Queen, le nouveau roman de l’Américain Michael Cunningham, son sixième traduit en français. Une fois encore, ce dernier, 62 ans et prix Pulitzer 1999 pour Les Heures, brille avec une écriture aussi majestueuse que sensuelle. Du grand art, encore et toujours, avec un des meilleurs romanciers américains de sa génération. Une rencontre exclusive avec un écrivain qui jongle avec le superbe et le déchirant.
Vous vous souvenez quand vous avez lu La Reine des neiges (The Snow Queen en anglais), le conte de Hans Christian Andersen publié en 1844 ?
Michael Cunningham : Ce conte, je ne l’ai jamais lu. Je ne sais même pas qui est Andersen! Non, ce n’est pas vrai… En fait, je ne me souviens pas quand j’ai lu cette histoire, mais surtout, je tiens à préciser que mon roman, Snow Queen, ce n’est pas la réécriture du conte d’Andersen… Tout ça, c’est une affaire commerciale imaginée par l’éditeur. De mon côté, ce qui m’a marqué, c’est tout simple chez Andersen : cela commence avec un miroir maudit. Et celui qui reçoit un éclat de ce miroir dans l’œil aura une vie emplie de malheurs et verra le monde tel qu’il est vraiment. Beaucoup d’entre nous ont, dans leurs yeux, des éclats de ce miroir…
À l’image d’un de vos personnages, en l’occurrence, ici, Barrett Meeks se promenant dans Central Park à New York, avez-vous déjà eu une illumination cosmique ?
Dans ma vie, j’ai vu beaucoup de choses mais jamais une illumination cosmique! C’est juste une histoire que je raconte… Mais surtout, tout le monde a besoin de garder un secret. Parce qu’on n’est pas juste un corps allongé sur une table.
Quel type de rapport entretenez-vous avec vos personnages ?
Pour Snow Queen, deux des personnages sont inspirés par deux amis proches. Avant de le remettre à mon éditeur, je leur ai fait lire le manuscrit, et je vous assure que si le texte ne leur avait pas convenu, je n’aurais pas envisagé un seul instant sa publication… Sinon, comme tous ceux et celles qui écrivent, j’utilise ce que me propose et montre le monde pour inventer des personnages. Oui, je connais une femme qui souffre du cancer, comme Beth dans mon livre, mais cette femme est toujours vivante, elle. Quant à mon meilleur ami, il est musicien et accro à l’héroïne, comme Tyler dans Snow Queen, il l’utilise pour s’ouvrir l’esprit, pour agrandir son champ de perception. Mais attention : Snow Queen n’a pas été conçu comme une pub pour la drogue!
Justement, Snow Queen brille par la multiplicité des thèmes…
J’ai voulu écrire un livre qui propose des points de vue sur différents thèmes. Ainsi, au fil des pages, il est question de transcendance, d’amour, de drogue, d’art, de shopping… Un roman, selon moi, simule la vie réelle – avec des choses et des événements harmonieux et d’autres moins. Et si un livre simule la vie, il doit tout contenir.
Comment travaillez-vous? Suivez-vous un plan très précis? Vous laissez-vous embarquer par vos personnages ?
Je commence toujours par les personnages. Et quand vous les connaissez bien, quand vous les avez bien définis et cernés, quand vous avez compris ce qu’ils veulent, l’histoire vient toute seule.
À quel moment savez-vous avec certitude que le roman est arrivé à son terme ?
Je ne contrôle pas! Chaque roman suggère sa propre longueur. Je sais seulement qu’il doit y avoir des mouvements dans le livre…
Revenons aux personnages de Snow Queen…
(Il coupe) Comme je l’ai déjà indiqué, Tyler et Beth sont basés sur des personnes que je connais très bien. Mais mes personnages ne sont pas leur photo, ils sont juste inspirés. Ainsi, Beth parle très librement de sa maladie et Tyler évoque sans problème la drogue, l’héroïne, et peut discuter musique pendant des heures avec sa quête de la chanson d’amour parfaite… On me demande aussi souvent si Barrett, c’est moi. Non, ce personnage n’est pas basé sur moi, ni sur ma vie. Et je vais vous faire une confidence : je pèse moins lourd que Barrett mais je suis plus beau que lui! Plus sérieusement, je crois qu’entre mes personnages, il existe un certain équilibre. Tyler attend une vision, Barrett a une vision qu’il ne veut pas voir et Beth disparaît tôt tandis que Liz, la cougar, continue tard.
Dans ce nouveau roman, une fois encore, vous avez une histoire à trois personnages principaux, trois parties…
… Mais le chiffre 3 a toujours été très populaire! C’est la sainte Trinité. C’est aussi les trois actes d’une pièce de théâtre depuis Shakespeare… Si vous prenez le chiffre 2, c’est toujours une ligne droite, d’un point à un autre. Avec le 3, il en va différemment, on a bien plus de combinaisons. C’est tellement plus intéressant pour l’auteur, cela ouvre tellement plus de possibilités et, croyez-moi, ce n’est pas une astuce technique!
Vous avez souvent affirmé que la fiction américaine est la plus apolitique dans le monde…
Peut-être que les écrivains américains veulent avant tout plaire au public !
Entretien avec notre correspondant à Paris, Serge Bressan